Critiquer la société capitaliste, c’est bien, réclamer un autre monde possible, c’est légitime, mais tout cela restera incantatoire si nous ne disons pas ce que cet autre monde sera.
Site créé par Christian TIREFORT et Eric DECARRO pour publier leurs analyses, il accueille également celles de la branche suisse du réseau salariat. Le premier en fut le président jusqu’à son décès survenu le 14 décembre 2022.
Il vaut la peine de revenir sur l’élection présidentielle française pour tenter d’en tirer quelques enseignements. Je ne parlerai pas ici des conséquences politiques de la victoire de Sarkozy, ni de la concentration sans précédent de pouvoirs entre ses mains, je me bornerai à analyser le contenu de sa campagne (en particulier sur la valeur travail). Je ferai ensuite trois remarques concernant la campagne de l’extrême-gauche, avant de dire quelques mots sur le contenu de la campagne de Ségolène Royal ; ce dernier, axé prioritairement sur le renforcement de la compétitivité et le soutien aux entreprises, confirme sur toute la ligne cette thèse : désertion du thème du travail – et de sa centralité - par la gauche (social-démocrate).
Première constatation : Sarkozy a effectivement conduit une campagne de rupture, malgré sa participation au pouvoir ces 5 dernières années. Cela tient autant au style qu’il a imprimé à sa campagne qu’au contenu de celle-ci.
Le fait qu’il ait conduit une bonne partie de cette campagne présidentielle en tant que ministre de l’intérieur, multipliant dans cette fonction les déclarations provocatrices, notamment dans les banlieues, est déjà significatif en soi. Les premières réformes que le nouveau gouvernement Fillon entend soumettre à l’assemblée nationale sont d’ailleurs des mesures sécuritaires.
Je constate aussi que le candidat de l’UMP a été constamment à l’initiative dans cette campagne, imposant un à un ses thème, les autres candidat-e-s étant le plus souvent réduits à réagir.
Transgression de la ligne de démarcation entre droite et extrême-droite
Sarkozy a tout d’abord fait sauter la ligne de démarcation entre les partis de droite, fidèles alliés du MEDEF, et l’extrême-droite du Front national ; cette ligne de démarcation, Chirac l’avait toujours maintenue, malgré certains dérapages sur les « odeurs » ; l’ex-président avait ainsi constamment refusé de débattre avec Le Pen ; ce débat, Sarkozy l’a engagé, en direct à la TV. Mais surtout, il n’a pas hésité à puiser l’essentiel de ses thèmes de campagne dans le fonds d’idées du Front national.
Si la plupart des observateurs se sont réjouis du net recul de Jean-Marie Le Pen, bien peu ont souligné que c’était au prix de l’incorporation des idées du Front national dans le programme de la droite aujourd’hui au pouvoir (ordre, nation, travail, famille, mérite). De nombreux électeurs de Le Pen lui ont cette fois préféré Sarkozy, parce qu’ils voyaient en ce dernier un candidat en capacité d’accéder au pouvoir, donc de mettre en œuvre ces points programmatiques.
Le thème de « la valorisation du travail »
Sarkozy a ensuite balayé un très large spectre avec ses thèmes de campagne : il s’est employé avec succès, durant cette dernière, à brouiller les repères et les frontières entre droite et gauche. Sarkozy n’a ainsi pas hésité à citer Léon Blum ou Jean Jaurès, à se réclamer du front populaire ou de la résistance, évoquant même la mémoire de Guy Mocquet, résistant communiste fusillé par les allemands.
Mais, ce qui est à mon sens le plus phénoménal, c’est qu’il ait pu, pratiquement sans réaction notable, s’accaparer cet élément central du patrimoine de la gauche, à savoir « le travail », allant jusqu’à en faire l’un des axes centraux de sa campagne, avec ses appels à « valoriser le travail », ses références à « la France dure à la peine », « la France de l’effort », sa volonté de « résoudre la crise morale française, qui a un nom, c’est la crise du travail », ses appels démagogiques à respecter « le beau mot de travailleur », etc. Il n’a pas hésité non plus dans sa campagne à promettre le plein emploi, « le droit pour chacun de travailler et de vivre debout, dignement du fruit de son activité ».
Le fait que Sarkozy ait pu faire main basse sur un élément aussi central dans les références de la gauche est révélateur de la perte d’hégémonie de cette dernière sur ce thème essentiel pour les classes populaires ; la réussite d’une telle opération repose aussi sur le fait que de larges secteurs du salariat sont aujourd’hui menacés et fragilisés par les restructurations et délocalisations qui caractérisent la globalisation. C’est à eux que Sarkozy s’adresse lorsqu’il déclare : « je veux porter la question du pouvoir d’achat, je veux protéger les français face aux délocalisations » ou encore : « il faut respecter le travail, récompenser le travail, considérer le travail, valoriser le travail ».
C’est à mon avis cette offensive de Sarkozy sur la « valorisation du travail », un thème qui entrait en résonnance et faisait sens avec d’autres de sa campagne, comme le mérite, la nation, la sécurité, ou encore la maîtrise de l’immigration, qui est à la base de sa victoire sur le terrain des idées et lui a permis d’atteindre largement son but : capter les voix d’une grande partie des ouvrier/ères et employé-e-s français/es sans lesquelles aucune majorité n’est possible.
Sarkozy n’a pas hésité à visiter des entreprises industrielles, à s’entretenir même avec des ouvriers en lutte, chose difficilement pensable pour un candidat de droite il y a encore quelques années. Il s’est ainsi posé en protecteur des salarié-e-s français contre les dangers de la mondialisation et des délocalisations.
Un thème déserté par la gauche
Certes, Sarkozy intègre la valorisation du travail dans un ensemble réactionnaire, avec le mérite, l’ordre et la nation, conférant ainsi à la notion de travail un sens en complète contradiction avec le contenu émancipateur qu’il revêtait auparavant pour la gauche. Si cette opération a pu réussir, c’est cependant en raison de l’abandon de ce thème par cette dernière. Depuis des années, cette gauche est bien plutôt tournée vers cet objectif « comment s’émanciper – comment se libérer - du travail salarié ? » et n’a cessé de présenter le temps de non-travail comme le règne de la liberté, et ceci en pleine phase de montée du chômage. Une partie de l’extrême-gauche, se référant au travail exploité, hiérarchisé et mutilé, n’a pas hésité non plus à jeter le bébé avec l’eau du bain.
On rappellera ici les thèses d’André Gorz, formulées dans les années 90, sur le travail salarié par définition hétéronome (c’est-à-dire contrôlé de l’extérieur, tant en raison – selon cet auteur - des rapports sociaux capitalistes que de la puissance de la machine technologique) et son exaltation des activités autonomes, individuelles, ou en tous cas librement choisies (bricolage, jardinage, activités culturelles, relations sociales et conviviales). Rappelons aussi ses appels à « sortir de la société salariale » ou « redistribuer le travail et libérer du temps ». Souvenons-nous enfin des thèses de Rifkin sur la « fin du travail ».
Depuis des années, la gauche est tournée vers « le temps libre » et voit même dans la réduction du temps de travail – qui plus est, réalisée dans un seul pays – la principale solution au problème du chômage.
Un autre cheval de bataille de cette gauche réformiste, c’est la notion de « partage du temps de travail », qui s’inspire de la même logique moralisante, à savoir « travaillons moins, travaillons tous », laquelle vise à adapter les salariés à la rareté du travail offert par le capital en fonction de son critère, le profit, un peu comme si l’on voulait obliger un grand corps à entrer dans un habit trop exigu pour lui. De telles propositions ont pour conséquences de fragiliser la position des salarié-e-s face aux tendances à la précarisation du travail, de renforcer la pression à la baisse de leur pouvoir d’achat induite par la globalisation et de culpabiliser les salariés disposant d’un emploi, qu’on rend en quelque sorte responsables, eux, du chômage des autres, avec ce genre de proposition.
Marché du travail et globalisation
Cette position ne tient pas compte du fait que le marché du travail s’est désormais mondialisé dans ce contexte de globalisation, car les nouvelles technologies ont permis la diffusion au niveau mondial d’un savoir-faire, longtemps monopole des salariés des pays industrialisés du Nord. Elle nie ainsi la course capitaliste vers les pays à bas salaires, laquelle exerce une pression à la baisse sur les emplois, les salaires et les conditions de travail dans le monde entier. Elle nie aussi le caractère destructeur des rapports marchands fondés sur la compétition et les effets ravageurs de la lutte acharnée que se livrent les capitaux pour le profit au plan mondial.
Sarkozy a dès lors eu beau jeu de s’attaquer aux 35 heures, au nom du pouvoir d’achat des salariés (leurs salaires ont indiscutablement souffert du contexte et des conditions dans lesquels a été introduite cette réforme, en plus de la flexibilisation qu’elle a favorisée concernant l’utilisation par le patronat de la force de travail), mais aussi au nom de la compétitivité ; il a eu beau jeu de s’attaquer ensuite au « partage du temps de travail », en se se réclamant, lui, du plein emploi et de la « valorisation du travail ».
Personne à gauche ne parle plus, depuis longtemps, de la pleine utilisation de la force de travail, et donc, de la faculté de faire qui existe en chacun, ni des conditions dans lesquelles le chômage pourrait être vaincu, ce qui implique de cibler le profit, et de mettre en relation la pénurie d’emplois ou la destruction de ceux-ci avec le parasitisme croissant du capital financier dans le cadre de la globalisation (ce dernier exige désormais le taux exorbitant de 15 % de rentabilité, au minimum). Tout cela suppose une alternative à cette société, une alternative non pas au cadre que constitue la globalisation, ce qui impliquerait un retour au protectionnisme national caractéristique d’une période, celle d’un capitalisme à dominante industrielle qui ne reviendra pas, mais au contenu de la globalisation actuelle.
La gauche a perdu cette idée-force que le travail qui réside en chacun est la source de la richesse, et constitue même la richesse en soi. Elle est ainsi de plus en plus gagnée par l’idée que le capital, l’argent, est la richesse et que le travail est un « coût », ce qui va de pair avec son acceptation du marché, présenté comme l’expression même de la démocratie par les multiples décisions qu’il implique, alors même qu’il s’agit d’un rapport de classe, qui s’applique en premier lieu à la force de travail, et selon lequel ce qui est abondant est bon marché, ce qui est rare est cher ; la gauche se soumet à l’idée que le capital finance le travail, alors que c’est le travail, exploité désormais au niveau planétaire, qui finance et rentabilise une masse croissante de capital, laquelle s’est autonomisée et circule au plan mondial à la recherche des meilleures opportunités de profit, tirant ainsi toutes les rentabilités vers le haut et pressant les salaires et conditions de travail vers le bas.
Les contradictions de la notion de valorisation du travail
Il est tout de même stupéfiant qu’un candidat qui s’apprête à remettre en question le code du travail et à faciliter les licenciements, à supprimer des emplois dans le services publics, à attaquer les dépenses publiques et la sécurité sociale au nom de la réduction des coûts puisse se réclamer de la « valorisation du travail ». Car les prestations des services publics et de la sécurité sociale qui répondent indiscutablement à des besoins sociaux, ont précisément, au fil des années, été intégrées dans la valeur de la force de travail. Et leur développement n’a été possible qu’en affectant une partie du surplus social généré par le travail à leur financement, au lieu que celui-ci soit intégralement confisqué par le capital sous forme de profit. C’est précisément pourquoi toutes les forces politiques qui aspirent à gérer ce système sont aujourd’hui unanimes, au nom du « renforcement de la compétitivité nationale », à vouloir réduire « les coûts » que représentent services publics et sécurité sociale, parce que leur financement détourne du profit capitaliste une partie de ce surplus social.
Le comble, c’est évidemment lorsque Xavier Bertrand, nouveau ministre du travail, remet en cause le droit de grève, au nom même de la « valeur du travail ». On ne saurait mieux opposer le contenu oppresseur et réactionnaire de la valeur du travail prônée par Sarkozy par rapport au contenu émancipateur que représentait historiquement cette notion dans l’imaginaire de la gauche. Dans l’option de Sarkozy, il s’agit là, bien évidemment, du travail dominé et asservi aux besoins du capital, du travail exploité, hiérarchisé, mutilé, aliéné et privé de toute charge subversive. C’est le travail soumis aux effets ravageurs de la lutte que se livrent les capitaliste pour le profit et à l’autoritarisme croissant du capital dans les rapports de travail. C’est le travail ayant pour finalité exclusive le profit privé, la réponse aux besoins devenant de plus en plus secondaire et aléatoire. C’est l’insécurité du travail, la souffrance au travail, le travail dans le stress, mais aussi l’exclusion du travail salarié des chômeurs/euses et précaires. C’est le travail tendanciellement paupérisé et précarisé, en contradiction totale avec sa productivité croissante, laquelle permettrait de vaincre la rareté. C’est enfin le travail divisé, entre nationaux et migrant-e-s, entre travailleurs qui ont un emploi et ceux qui n’en ont pas, entre travailleurs méritants et non-méritants, entre salariés actifs et retraités.
Dans le patrimoine de la gauche, le travail était vu au contraire comme un sujet autonome – antagonique - face au capital. Ce sujet social ne bornait pas son ambition à conquérir quelques améliorations sous le régime du capital, ou à constituer un contrepouvoir face à ce dernier ; il ne contestait pas seulement la domination du capital sur l’emploi salarié, il contestait la domination du capital sur toute la société. Dans cette conception, le travail se dressait contre son instrumentalisation et sa réduction au statut de chose. Il faisait valoir collectivement sa subjectivité et ses exigences face au capital, raison pour laquelle la grève était (est) son recours face aux exactions de ce dernier, mais aussi pour exiger ses droits. Il incarnait les valeurs de coopération, de socialisation, de solidarité et d’égalité sociale. Dans cette conception, le travail avait pour but de répondre aux besoins des populations et de lutter contre la précarité. Sa productivité croissante devait déboucher sur des améliorations du pouvoir d’achat des salariés, des avancées sociales et des progrès humains pour toute la population, et non servir à enrichir une infime minorité de la population, tandis que la majorité de la population mondiale croupit dans la misère et manque de tout. La réalisation du principe « droit au travail pour tous », assortie d’un revenu permettant aux salariés de signaler leurs besoins, était conçue comme un fondement essentiel de toute société démocratique. Dans cette conception, la notion de travail ne se résumait pas au seul travail salarié, elle englobait l’ensemble du travail nécessaire au maintien, à la reproduction et au dévelppement créatif de la société ; elle prenait donc aussi en compte le travail non-salarié nécessaire à cette fin, comme le travail de formation, les activités culturelles et surtout la masse de travail gratuit aujourd’hui fournie pour l’essentiel par les femmes. Cette conception postulait la maîtrise de la société sur le travail, en particulier la maîtrise des salariés sur leurs conditions de travail et la finalité de celui-ci.
Bref, c’était un concept émancipateur, un point d’appui pour une autre société. En perdant ce point d’appui, la gauche s’est subordonnée au modèle dominant, elle a perdu toute perspective de projet propre, autonome par rapport au capital, elle a perdu enfin son sujet social, lequel ne connaît pas de frontières.
Protéger les salariés français contre les migrants
Sarkozy a systématiquement accolé ses propositions axées sur la valorisation du travail et le droit à l’emploi, ou la protection des salariés français contre les dangers de la mondialisation, avec le thème de la maîtrise de l’immigration et de l’adoption de politiques très restrictives et répressives contre celle-ci. Ainsi déclare-t-il tout de go dans sa conclusion au débat avec Ségolène Royal : « Il n’y a aucune raison que l’on n’ait pas le plein emploi ; il n’y a aucune raison que l’on n’arrive pas à maîtriser l’immigration ».
Cette position a selon moi valeur de message en faveur de la préférence nationale en matière d’emploi. Cela signifie en effet : je vais vous protéger contre ces migrants qui viennent « voler le travail » des résidents réguliers en France ; je vais protéger « le pacte social de la France ». Il n’y a pas besoin de pousser beaucoup pour que ce message signifie : ces migrants sans papiers « qui viennent voler le travail des travailleur/euses français-ses ». L’ensemble du discours de Sarkozy est d’ailleurs surdéterminé par la référence nationaliste (cf. son discours sur l’identité nationale qui exprime bien ce contenu).
Reprenant son discours sur « l’immigration choisie », qui signifie en particulier écrémer les cerveaux et les force de travail qualifiées des pays du Sud, il déclare ainsi : « Nous avons le droit de choisir entre qui est le bienvenu sur notre territoire et qui ne pas souhaiter. Ceux qui n’ont pas de papiers seront reconduits dans leur pays. »
Certes, Sarkozy ne va pas expulser systématiquement les centaines de milliers de migrant-e-s sans statut légal qui résident en France ; il sait fort bien que le patronat recourt largement à cette main-d’œuvre, que ce dernier surexploite en particulier dans les secteurs d’activité non délocalisables (bâtiment, nettoyage, agriculture, restauration, etc.) ou dans les entreprises de sous-traitance ; mais il multipliera les contrôles pour placer cette population dans des conditions d’insécurité maximale, exploitable et corvéable à merci car sans droits, et toujours susceptible d’être expulsée.
Opposition entre « travailleurs honnêtes » et « assistés »
Un autre élément de la campagne de Sarkozy se rattache étroitement à son discours sur la valorisation du travail et le plein emploi : c’est l’opposition qu’il n’a cessé de faire entre ceux qui travaillent et vivent de leur salaire, et les assistés qui vivent d’allocations diverses, en particulier des allocations familiales. Il a ainsi lourdement insisté sur les impôts que les salariés doivent payer pour financer ces allocations.
Citons ce passage de sa conclusion lors du débat avec Ségolène Royal : « Je ne crois pas à l’assistanat. Je ne crois pas au nivellement. Je ne crois pas à l’égalitarisme. Je crois au mérite, à l’effort, à la récompense, à la promotion sociale et plus que tout, au travail ».
Il n’a ainsi cessé d’opposer, durant toute la campagne, les « travailleurs/euses honnêtes » aux « assistés », présentés comme autant de « profiteurs » ou de délinquants en puissance, et ensuite les travailleurs résidents aux immigrés sans papiers, ainsi criminalisés et présentés comme venant prendre le travail des résidents en France, des nationaux tout particulièrement.
Ce discours stigmatisant vise à l’évidence à culpabiliser les chômeurs/euses et les assisté-e-s, présentés quasiment comme des « bons à riens » et « des fainéants », personnellement responsables de leur situation. Cette position occulte évidemment les causes du chômage et de l’augmentation des dépenses d’aide sociale, à savoir le système du profit qui filtre l’accès à l’emploi, et l’obstacle que constitue le capital au plein emploi de la force de travail.
Il ne fait aucun doute, sur cette base, que Sarkozy et le gouvernement de droite vont engager une politique très brutale à l’encontre des chômeurs et allocataires pour les contraindre à accepter un travail, quels qu’en soient les conditions et le salaire. Voilà qui pèsera de toute évidence sur le prix de la force de travail et les conditions de travail de tous, en contradiction totale avec toutes les promesses du candidat de l’UMP sur « la valorisation du travail ».
Division des salariés et des classes populaires
Avec ces deux thèmes – couplage entre plein emploi et lutte contre l’immigration ; opposition entre salariés et assistés - Sarkozy enfonce ainsi des coins dans la solidarité au sein des classes populaires.
Il en va de même sur le régime des retraites, où il tente d’opposer les petites retraites, et les retraités en général, aux salariés de la SNCF, de la RATP et d’EDF qui sont au bénéfice d’un régime spécial des retraites et cotisent 37 ans et demi, au lieu des 40 cotisations imposées par la loi Fillon de 2003. Il déclare ainsi vouloir augmenter les petites retraites par les économies réalisées en supprimant ce régime spécial.
Ce discours sur l’immigration et l’assistanat est bien évidemment en phase avec celui sur la sécurité et la protection des français contre les dangers de la mondialisation. On voit bien qu’il y a du mouvement entre les thèmes, entre les concepts, qui se renforcent les uns les autres et font système, conférant cohérence et crédibilité à ce discours d’une droite musclée.
Le discours sécuritaire de Sarkozy est ainsi en parfaite cohérence avec celui de la valorisation du travail et de l’opposition entre travailleurs honnêtes et allocataires considérés comme autant de délinquants en puissance. Ainsi déclare-t-il : « Je ne mettrai jamais sur le même plan les victimes et les délinquants, les fraudeurs et les honnêtes gens, les truqueurs et la France qui travaille ».
Les premières mesures annoncées sur ce plan comme les mesures contre les multirécidivistes, l’abaissement de l’âge pénal des mineurs délinquants, la suppression des allocations familiales aux familles dont les enfants commettent des délits, se traduiront à coup sûr par une répression policière et judiciaire accrue et une augmentation de la population carcérale, parmi les populations les plus précarisées et les plus pauvres.
A) J’observe tout d’abord que toutes les forces qui se réclamaient du NON à la constitution européenne sortent battues et laminées de cette élection, que ce soit à l’extrême-droite (Le Pen, De Villiers), à gauche (Fabius) ou à l’extrême-gauche (le fait que la LCR maintienne ses positions me paraît une maigre consolation dans cette débâcle).
Cela pose évidemment question sur le contenu dominant de ce NON à la constitution européenne : contre le néo-libéralisme, ou nationaliste et anti-européen ? Cela pose aussi question sur l’extrême-gauche, qui s’est avérée incapable de s’unir face à cette échéance politique importante, ce qui témoigne de l’absence d’un projet unifiant, chaque force politique privilégiant ses propres intérêts organisationnels.
B) Je constate ensuite que tous les candidats de gauche, y compris ceux de l’extrême-gauche, ont fait campagne comme si la globalisation capitaliste n’avait pas significativement réduit la marge de manœuvre pour promouvoir des réformes progressistes et obtenir satisfaction sur les revendications des salariés dans le cadre de l’Etat/nation.
L’extrême-gauche n’a pas intégré dans son programme le phénomène radicalement nouveau que constitue la globalisation. Un peu à l’instar de la social démocratie qui considère, comme Ségolène Royal, que (la) « compétitivité économique n’est pas incompatible avec progrès social, bien au contraire », l’extrême-gauche française continue d’agir comme si la lutte entre les capitaux pour le profit au plan mondial n’existait pas et comme si, dans ce contexte de globalisation, la concurrence entre les Etats/nations eux-mêmes ne battait pas son plein autour de l’enjeu suivant : créer les conditions-cadre permettant au capital d’atteindre un taux de profit supérieur à celui des autres pays. C’est cette compétition au niveau mondial qui réduit les espaces pour conquérir des avancées sociales et rend plus difficile la satisfaction des revendications, même lorsque les salariés se mobilisent et expriment leur volonté de lutte. C’est cette situation aussi qui réduit la marge de manœuvre des Etats nations pour promouvoir des réformes progressistes et des progrès sociaux.
Durant cette campagne, l’extrême-gauche a ainsi aligné ses revendications, sans jamais mettre en évidence que leur réalisation, dans ce contexte de globalisation, se heurte à des obstacles croissants ; citons par exemple les revendications avancées par le candidat de la LCR, Olivier Besancenot : interdiction des licenciements, 32 heures sans perte de salaire avec embauche, augmentation de tous les revenus de 300 euros, SMIC à 1500 euros net, redistribution des richesses, réquisition de tous les logements vides, droit à l’emploi et au logement, retour dans le public de tous les secteurs privatisés, etc ; le problème, c’est qu’aujourd’hui, dans le cadre du modèle dominant, la satisfaction de ces revendications ou principes en matière de droits sociaux est de moins en moins probable car elle se heurte à la logique même du système.
Durant cette campagne, l’extrême-gauche française a bien attaqué le capitalisme, mais l’a fait de manière peu crédible, parce qu’elle n’a jamais décrit ce que pourrait être un autre système, d’autres rapports de production et de répartition. Les revendications et principes formulés constituent des objectifs que l’on peut indiscutablement partager pour l’essentiel, mais ceux-ci ne s’inscrivent pas dans une cohérence d’ensemble, dans une perspective. L’absence de projet alternatif peut ainsi laisser penser qu’on est pour le changement au sein du système, et non pour un changement de système.
Rompre avec la globalisation capitaliste suppose un autre modèle de société, donc décrire d’autres rapports de production, de répartition, de consommation et d’échange, l’élaboration d’un projet orienté dans ce sens. Une liste de revendications ne saurait à elle seule constituer un tel concept et tenir lieu de projet pour une autre société.
D’autant qu’il s’agit souvent de revendications purement quantitatives, dans lesquelles s’exprime une volonté de surenchère par rapport aux propositions des autres partis de gauche, du PS principalement. Le problème, c’est que ceux à qui elles s’adressent, en particulier la grande masse des salariés, ne les jugent souvent pas crédibles, parce qu’ils sentent bien quelles sont les tendances dans cette globalisation capitaliste, engagés qu’ils sont souvent dans des luttes défensives très dures contre les délocalisations, les suppressions d’emplois, les nouvelles formes de précarisation de l’emploi. Le risque, c’est qu’alors ces revendications se transforment en vœux pieux, faute d’avoir prise sur la réalité.
Durant toute cette campagne, l’extrême-gauche n’a ainsi jamais souligné, et pour cause, les difficultés croissantes que nous rencontrons (pas seulement en France, mais dans tous les pays) pour conquérir des avancées sociales dans le contexte de cette globalisation capitaliste. Elle n’a jamais mis en évidence la logique de ce système qui s’attaque désormais à l’ensemble des droits sociaux des salariés, à tout le moins dans les pays du Nord, dans cette compétition acharnée qui se livre au plan mondial pour le profit. Pour toute force qui se réclame d’une transformation de la société et des conditions de vie, ces point devraient pourtant être martelés ; c’est la condition pour l’élaboration d’un projet transgressant clairement les limites du système actuel, pour l’élaboration d’une alternative à cette globalisation capitaliste. C’est la condition pour donner une perspective à notre combat pour des réformes dans le cadre actuel, et y inscrire les buts que constituent nos revendications.
C’est la condition enfin pour se projeter dans le futur, dans une perspective visant à unifier les salariés, précaires et petits producteurs du monde entier, bref tous ceux qui vivent de leur travail, dans cette lutte commune contre la globalisation capitaliste. Aujourd’hui les luttes et les mobilisations ne peuvent plus être pensées dans le cadre d’un seul pays, ou pays par pays, car il existe dans ce nouveau contexte un grand risque de dérives corporatistes, voire nationalistes, en particulier pour un mouvement syndical qui demeure fondamentalement organisé sur une base nationale (voir notamment ce qui s’est passé sur EADs, ce qui s’est passé sur WW et la fermeture de son site de Bruxelles, etc.).
C) Ce positionnement de l’extrême-gauche, qui consiste à ne pas prendre en compte les effets restrictifs de la globalisation sur la possibilité de conquérir des avancées sociales dans le cadre de l’Etat/nation, ne lui permettra pas d’exploiter pleinement la contradiction entre les promesses faites aux travailleurs par Sarkozy et les politiques effectivement mises en œuvre par son (ses) gouvernement(s). Car Sarkozy, un peu comme l’extrême-gauche, a fait des promesses aux salariés (le pouvoir d’achat, l’emploi) sans tenir compte des effets de la globalisation, ou en sous-estimant complètement la puissance de celle-ci. Il a fait ainsi des promesses aux capitalistes et aux travailleurs, pour draîner les voix à droite et à gauche. Mais il devra choisir entre satisfaire les uns, ou les autres ; dans la globalisation capitaliste, il n’existe en effet plus d’espace (ou en tous cas un espace bien moindre) pour le compromis social comparativement à la situation qui prévalait dans la phase d’après guerre, celle d’un capitalisme à dominante industrielle, laquelle était caractérisée – tout au moins dans les pays du Nord - par un relatif partage des gains de productivité entre capital et travail dans le cadre de chaque Etat/nation.
Sarkozy peut bien se poser en protecteur des salarié-e-s en France, il peut bien clamer sa passion de l’action et afficher son volontarisme politique, il ne pourra maîtriser la globalisation ; le capital globalisé s’est désormais affranchi de toute contrainte et tend à se subordonner la politique des Etats nationaux, quels qu’ils soient, avec toutes les conséquences que cela implique en terme de pression sur les emplois, les conditions de travail, les services publics et la sécurité sociale. Sarkozy représente sans nul doute les intérêts de la classe dominante en France et il fera ce qu’il faudra pour préserver ceux-ci dans le cadre de la globalisation, car cette classe entend bien continuer de figurer parmi les gagnants de cette compétition mondiale, en particulier au détriment des pays du Sud. Sarkozy devra dès lors prendre des mesures pour renforcer la compétitivité de l’économie française. Or qui dit compétitivité dit deux choses : a) réduction drastique des coûts pour permettre au capital d’exporter ses marchandises afin de réaliser la plus-value qu’elles contiennent et b) capacité d’attirer les capitaux dans le pays en procurant des taux de profit supérieurs au taux de profit moyen sur le plan mondial. La globalisation va ainsi faire exploser son discours sur la « valorisation du travail », sur le plein emploi, et sur « le droit de vivre debout et dignement de son travail » et sa promesse – intenable – de protéger les salariés français contre les dangers de la globalisation.
Il me faut dire encore un mot sur le discours de Ségolène Royal qui confirme pleinement, à mon sens, ce qui est dit plus haut à propos de la gauche, en tout cas de la gauche réformiste ; tout d’abord, sur de nombreux points elle est d’accord sur le fond avec Nicolas Sarkozy, avec cependant quelques différences, certes non négligeables, qui portent sur la manière, sur la forme (en particulier les modalités – nettement moins brutales - d’introduction des réformes) ; citons ces points d’accord :
La compétitivité et le soutien aux entreprises, la réduction des coûts sociaux et du coût du travail (au nom du renforcement de cette compétitivité nationale), la réforme des régimes spéciaux des retraites, la politique sécuritaire (dans le débat avec le candidat de l’UMP, la candidate socialiste semble ainsi reprendre à son compte le concept de « tolérance zéro » et parle même « d’encadrement militaire des mineurs »), l’autorité (de l’Etat, de l’école, des parents au sein de la famille), une Union Européenne axée sur la croissance, l’investissement et la compétitivité et basée sur « la concurrence libre et non faussée » (tous deux en attendent protection contre le chômage et les délocalisations), la maîtrise de l’immigration (avec cette différence toutefois que Sarkozy exclue explicitement toute régularisation collective des sans papiers, ce que Ségolène Royal ne fait pas), l’identité nationale (cf. la réaction sur ce thème de Ségolène Royal, avec ses appels à arborer les drapeaux tricolores aux fenêtres et à chanter la Marseillaise le 14 juillet), la réduction de l’endettement public (tous deux prenne cet endettement en tant que tel, isolément ; aucun ne le met en rapport avec les milliards de profits réalisées par le capital financier et les multinationales françaises), l’accès à la propriété du logement (Sarkozy place cependant un accent sensiblement plus fort sur ce point, avec sa volonté de « faire de la France un peuple de propriétaires »).
Surtout, dans le duel avec Sarkozy, Ségolène Royal est à mon sens nettement battue sur la question du travail, du pouvoir d’achat, de la protection contre les délocalisations, ainsi que sur toutes les questions précises relatives au financement des retraites ; sur toutes ces questions, elle est vague, floue. Son discours est éclectique. Elle saute d’un thème à un autre. Elle ne se place pratiquement jamais du point de vue du travail, elle se place au contraire principalement du point de vue d’une gestionnaire accordant une priorité à l’entreprise, au renforcement de la productivité et compétitivité de celle-ci, dont elle attend des retombées en termes d’emploi et de conditions de travail, tandis que Sarkozy part des questions que se posent les salarié-e-s. C’est à un point qu’on se demande parfois, sur le choix des thèmes, qui est de gauche et qui est de droite.
Là où Sarkozy, par exemple, se réfère aux « millions de salariés qui se disent : moi, j’ai trimé toute ma vie, j’entends qu’on équilibre mon régime de retraites et avoir ma pension », elle reste vague sur le financement des retraites ou parle de financer la revalorisation des petites retraites grâce à une taxe sur les revenus boursiers, qu’elle se garde pourtant bien de chiffrer (« elle sera au niveau de ce qui sera nécessaire pour faire de la justice sociale »).
Là où Sarkozy parle de pouvoir d’achat, de rigueur salariale, de salaires trop bas et dit : « à quoi ça sert les réductions du temps de travail quand il ne reste rien à la fin du mois », elle parle de « temps libéré », de laisser les gens « libres » et de ne pas leur imposer de travailler plus pour gagner plus ; elle n’aborde que brièvement le salaire minimum, le travail payé à sa juste valeur ou l’engagement des jeunes en début de carrière à 980 euros. Elle donne cependant quelques pistes sur l’emploi, en particulier la création de 500.000 emplois-tremplins jeunes.
Là où Sarkozy parle de « valoriser le travail », de « récompenser le travail », de « respecter le travail » et les travailleurs, elle parle « d’investir dans l’innovation et la recherche » pour renforcer la compétitivité des entreprises, elle parle de « l’économie de la connaissance », de « la capacité française à créer des entreprises », de « réconcilier la France avec les entreprises », « des pépinières d’entreprises », de « favoriser des réseaux de chefs d’entreprise », de renforcer la compétitivité des PME, de sa volonté que « le peuple français devienne un peuple d’entrepreneurs », elle parle de transférer des ressources dans les régions « parce qu’elle croit beaucoup dans la dynamique des territoires et parce que c’est là que les chefs d’entreprises peuvent se mettre ensemble », elle parle des étudiants « qui doivent être encouragés à créer, à leur sortie d’études, leur propre emploi, leur petite entreprise ».
Discours sur la compétitivité versus discours de compassion
Le discours de Ségolène comporte deux aspects :
A) Tout d’abord, et c’est l’aspect principal, il s’agit d’un discours de gestionnaire proche des chefs d’entreprise qui veut « redébloquer la machine économique », un discours qui part de l’entreprise et porte sur les domaines d’investissement prioritaires pour renforcer la compétitivité et favoriser la croissance dont on attend la réduction du chômage ; cet aspect du discours s’exprime très bien sur les 35 heures, lorsqu’elle répond à son concurrent « Donc vous voyez que je suis capable de regarder les choses telles qu’elles sont et la réalité des entreprises telle qu’elle est parce que je suis au front avec les entreprises. J’ai cette responsabilité dans les régions. C’est nous qui gérons les aides économiques aux entreprises ». Ce n’est jamais un discours s’adressant directement à la grande masse des ouvriers, employés, techniciens, etc. et s’efforçant de répondre à leurs attentes. A la fin de son duel avec Sarkozy, juste avant que ce dernier reprenne un à un ses thèmes en les martelant avec force dans sa conclusion, Ségolène Royal se lance même dans un discours totalement abstrait, quoique extrêmement précis, sur la réforme des institutions. Et tout à la fin de son intervention, lorsqu’elle déclare qu’elle ne dressera jamais les Français les uns contre les autres, elle pousse même jusqu’à dire : (je ne dresserai pas) « ceux qui ont des parachutes dorés (contre) ceux qui sont licenciés ». Voilà qui est quand même assez stupéfiant venant d’une candidate de la gauche, car on met sur le même plan ici un travailleur ou une travailleuse qui perd ses moyens d’existence et un capitaliste qui reçoit des millions, pour prix de son départ.
B) Ensuite, c’est un discours sur les valeurs morales, un discours de l’apitoiement et de la compassion : sur les gens qui souffrent, les enseignants qui souffrent, les personnes qui ne font qu’un repas par jour, les petites retraites qui font basculer les gens dans la pauvreté, le nombre de travailleurs pauvres qui a augmenté, la précarité qui s’est accrue, les 2,5 millions de personnes en France au-dessous du seuil de pauvreté, dont 2 millions d’enfants, les femmes qui subissent très durement le chômage partiel ou les effets pour les femmes de l’allongement de la durée de cotisations pour les retraites, l’espérance de vie moindre des personnes qui font un travail pénible, l’intégration des handicapés enfin, un thème sur lequel elle pique d’ailleurs « une saine colère », comme elle le dit, à propos des emplois supprimés dans ce secteur par la droite. Ce discours compassionnel s’ouvre sur cette phrase : « je souhaite sortir la France de la situation dans laquelle elle est aujourd’hui ». Bref, c’est un discours empreint de valeurs moralisantes, une sorte de paternalisme social, comme au 19ème siècle ; Ségolène Royal ne s’interroge en effet jamais sur les causes de cette situation. Ce discours est dès lors parfaitement subalterne par rapport au discours de la gestionnaire sur la compétitivité ; à aucun moment, ce discours ne va jusqu’à remettre en cause le principe de compétitivité au nom de l’humanisme. Le problème, c’est que les politiques visant « le renforcement de la compétitivité nationale » contribuent toutes à aggraver, jour après jour, la situation des personnes vivant dans la pauvreté et la précarité, ou celle des personnes les plus fragiles et vulnérables de la société qu’évoque Ségolène Royal dans cet aspect de son discours.
Entre ces deux types de discours, le discours de la gestionnaire (on attend du capital et du profit des retombées en termes d’emplois et de social) et le discours compassionnel sur les valeurs, c’est donc le grand écart, doublé d’une claire hiérarchie entre les deux.
Quelques points encore
Même à propos des services publics, lorsque Sarkozy déclare que l’impôt détruit l’emploi, détruit du pouvoir d’achat et tue la croissance, Ségolène Royal est incapable de le contrer en disant que l’impôt finance des services publics qui créent de la richesse sociale, des prestations, et du pouvoir d’achat. Evidemment Sarkozy s’inscrit dans le cadre de la pensée libérale qui considère que les seuls emplois qui vaillent (les seuls « vrais » emplois) sont ceux du secteur privé marchand, parce qu’il procurent directement du profit pour le capital privé. Evidemment il se base sur les tendances lourdes en acte dans le cadre de la globalisation qui visent précisément à supprimer cette « anomalie » qu’a constitué pour le capital la croissance des emplois dans le secteur public et le secteur « non profit ». Il le fait au nom de la compétitivité et de la réduction des « coûts », mais occulte complètement la contrepartie à l’endettement public, à savoir les masses de profits accumulées par le capital financier et les multinationales en France.
Sarkozy veut de plus économiser sur les services publics, il veut marchandiser et privatiser ces services : il annonce ainsi clairement son intention de favoriser le développement d’emplois (généralement mal payés et souvent, occupés par des migrant-e-s sans papiers) dans l’économie domestique, en proposant de plus de pouvoir déduire de ses impôts le salaire d’une personne employée à domicile. Plutôt que de développer des services publics tels que crèches, garderies, etc. accessibles à tous, favorisant une socialisation de la prise en charge des tâches d’éducation et employant du personnel à des conditions décentes, Sarkozy préfère encourager la marchandisation de prestations privées réservées à celles et ceux qui en ont les moyens, et excluant les autres. Pas de réponse convaincante de Ségolène Royal sur ce plan.
Il y a deux points cependant, où Ségolène Royal se distingue clairement de Sarkozy : le premier, c’est lorsqu’elle critique à juste titre l’effet sur l’emploi des heures supplémentaires que veut favoriser Sarkozy. Elle insiste aussi sur l’aspect de péjoration des conditions de vie des salariés qu’implique cette proposition. Elle ne souligne pas suffisamment cependant la marge de manœuvre additionnelle qu’une telle proposition, assortie d’exonérations de taxes et de cotisations sociales, va procurer au patronat en termes de flexibilisation des conditions des salariés, car ce sera évidemment toujours au bon vouloir de ce dernier que les heures supplémentaires seront demandées, voire exigées, et non en fonction des besoins des salariés en matière de pouvoir d’achat. Elle ne dit rien non plus sur la nécessité de répondre aux problèmes de pouvoir d’achat des salarié par des augmentation des salaires, plutôt que par des heures supplémentaires.
Le second, c’est sur la question des négociations avec les syndicats et le Medef (les partenaires sociaux) qu’elle estime indispensable d’engager concernant les mesures d’économies dans le cadre de la lutte contre l’endettement, les modalités de la suppression des régimes spéciaux, l’assouplissement de la loi des 35 h. ou du code du travail, qui selon elle sont trop rigides. On est d’accord sur le fond mais on se distingue sur la manière : Ségolène Royal insiste sur la qualité du dialogue social.
Enfin, la candidate du PS se distingue par deux éléments qui font partie du fonds d’idées social-démocrate, à savoir : « il faut réconcilier la compétitivité économique avec le progrès social, les deux ne sont pas incompatibles, bien au contraire », alors qu’à mon sens ils sont précisément de plus en plus contradictoires désormais dans le cadre de la mondialisation capitaliste. Ou encore, à propos de l’Europe : « si l’on veut éviter les délocalisations au sein de l’Europe, alors il faut travailler à l’élévation des niveaux de vie vers le haut et pas des compétitions vers les pays à bas salaires ». Le hic, c’est que l’Europe ne maîtrise pas la globalisation. Le capital globalisé s’est désormais affranchi de toutes contraintes. Plus même, l’UE constitue à la fois une protection des intérêts des classes dominantes des différents pays européens face aux dangers de cette globalisation, et un vecteur de cette globalisation et de la course à la compétitivité, vers l’extérieur, sur le marché mondial, mais aussi en son sein, entre les pays qui la composent lesquels sont ainsi mis sous pression pour renforcer leur compétitivité et subordonner à cet objectif l’emploi et le social. La social-démocratie croit toujours en fait à une concurrence par l’exemple, vers le haut, position en quelque sorte moralisante (le bien est récompensé), alors que la concurrence fait en réalité pression vers le bas, en ce qui concerne précisément les emplois, les salaires, les conditions de travail, parce que partout désormais, il faut à toute force, et en tout priorité, augmenter les rentabilités pour nourrir l’accumulation du capital financier.