travail et salariat

Critiquer la société capitaliste, c’est bien, réclamer un autre monde possible, c’est légitime, mais tout cela restera incantatoire si nous ne disons pas ce que cet autre monde sera.

Site créé par Christian TIREFORT et Eric DECARRO pour publier leurs analyses, il accueille également celles de la branche suisse du réseau salariat. Le premier en fut le président jusqu’à son décès survenu le 14 décembre 2022.

La dette ou la Tartufferie du siècle

jeudi 21 avril 2016 par Christian Tirefort

62 personnes détiennent plus de moyens d’existence que 3,5 milliards de personnes. Tant qu’on n’aura pas trouvé une solution à ce problème, les 3,5 milliards de personnes qui doivent vivre avec moins de deux dollars par jour seront enfoncées collectivement et individuellement dans la plus crasse des misères.

D’où provient-elle cette dette ?

Tout commence doucement, comme une tragédie, par la possibilité qu’un groupe de personnes, les capitalistes, une minorité, monopolise le pouvoir et s’arroge le droit d’accaparer toute la richesse créée par le travail d’un autre groupe de personnes, d’abord esclaves, puis serfs ou servants féodaux, puis salariées/salariés dans les conditions du capital, l’immense majorité.

Comment cela a-t-il été possible ?

« Certains ont économisé et d’autres pas » dira-t-on. Ce n’est pas si simplet. Au 18e siècle, il a suffi de transformer le pactole des féodaux et des bourgeois de l’époque en propriété lucrative, c’est-à-dire en capital, une forme de propriété qui permet d’accaparer une partie du travail de celles/ceux qui n’ont « que » leur faculté de faire à faire valoir.

A partir de cela tout continue avec des propriétaires qui s’accaparent la
formidable croissance de la productivité du travail. Le hic, c’est qu’en soi l’argent ne rapporte rien, il doit être placé de telle manière qu’il puisse se saisir de la richesse qu’il veut représenter. D’où vient-elle cette richesse  ? Du travail humain évidemment. Le tour est joué, il n’y a qu’à faire travailler les autres et les payer moins que ce qu’ils produisent.

Au début le stratagème semble bien fonctionner

Puis les problèmes surgissent : tout se passe comme s’il y avait trop de capital. Impossible, le capital c’est la richesse, il n’y en a jamais trop ! Pourtant les faits sont têtus, on ne sait plus où placer le capital de manière rentable  ; s’il ne rapporte rien, il ne recevra plus de soutien populaire, il sera en danger.

Certes les besoins ne sont pas tous couverts, mais que faire lorsque les gens n’ont pas d’argent pour se les offrir ? On les rejette dans la sphère du travail gratuit en sachant que les gens des peuples, les femmes surtout, feront tout pour les satisfaire. L’amour remplacera bien la richesse !

Cependant le travail gratuit n’est pas rentable. « Ce n’est pas du vrai travail » pense-t-on. Rien ne peut remplacer le travail salarié pour rentabiliser le capital.

Que faire alors ?

Exploiter encore plus, aller produire ailleurs, là où le travail est moins cher, laisser crever nos industries non rentables. Oui, cela semble marcher un moment, mais après c’est pire, la masse de capital à rentabiliser est toujours plus grande. On peut évidemment ouvrir des nouveaux domaines où spéculer, par exemple les céréales, la nourriture des plus pauvres, pressurer les salaires pour les faire encore baisser, spéculer sur l’immobilier, etc., mais cela, on le fait déjà.

Les idées les plus « géniales », mais aussi les plus odieuses

Elles sont venues des libéraux  : première idée « géniale », transformer tout le bien encore commun en produits marchands, autrement dit faire en sorte que les maladies, les accidents, l’enseignement deviennent des marchandises jetées sur les marchés pour être « sous traitées » avec profit par des entreprises privées. Deuxième idée « géniale  », fourguer le capital « inclassable » dans un pot commun, la sphère financière, laisser cette dernière macérer dans sa propre fange, faire de l’argent avec de l’argent. « Mais celui-ci ne vaut rien » diront les personnes les plus censées. Elles auront raison, le problème c’est qu’il n’y a pas d’autre solution. Troisième idée « géniale », développer la dette.

On en est là

Toujours plus de capital à nourrir en profit, des capacités productives illimitées face à des marchés exsangues constitués de « consommateurs  » de plus en plus fauchés et concentrés dans des centres industriels où les médias aux mains et aux ordres des capitalistes dictent ce qui est bon ou mauvais : le bon, c’est la marchandise, elle vaut son prix (excuse-moi lecteur, mais c’est le langage des économistes) ; le mauvais c’est le bien commun, il ne mène pas au profit.

Il a fallu 150 ans pour en arriver là, des monceaux de capitaux aux mains de 62 super riches qui entendent continuer à amasser le même type de richesse, du capital, encore du capital, toujours plus de capital, qu’ils utilisent comme trésor de guerre pour mater les peuples.

Le mot est lancé : mater les peuples pour qu’ils acceptent la Tartufferie  ; prétendre que le capital est la source de la richesse, alors que sa fonction est l’inverse, faire de la rétention de richesse, neutraliser le travail en en confisquant le produit, subtiliser les moyens matériels des peuples de penser l’avenir.

Un mauvais partage ?

La dette ne résulte pas d’un mauvais partage. En réalité les capitalistes ne produisent rien, ils n’ont donc rien à partager, tout ce qu’ils ont accumulé résulte d’un vol de classe.

L’organisation de ce vol est devenue une industrie de gros rapport. La fonction de l’appareil financier n’a en effet que le profit comme but. La preuve ? Les personnes qui y travaillent doivent impérativement faire fructifier l’argent dont elles ont la charge, elles le font « travailler  » quelle que soit sa provenance, des dettes ou toute autre forme de capital. Les dettes sont en effet du capital rapportant gros, elles sont d’excellents moyens de chantage.

Cessons de rêver

Nous sommes nombreux à le croire : on pourrait prendre le capital des super riches pour l’affecter ailleurs, dans des domaines moins destructeurs. C’est croire qu’on pourrait utiliser la bombe atomique pour pacifier une région. Cela ne pacifierait rien, ça ne ferait que détruire ce qu’on veut pacifier et nous plonger dans le désastre absolu. Il faudra au contraire commencer par neutraliser la bombe pour pouvoir faire autre chose, par exemple organiser les populations du monde entier pour produire ce qui nourrira les 3,5 milliards de personnes peu ou mal nourries.

« Noble but, mais vœux pieux »

C’est ce que les sceptiques diront avec condescendance. Et ils continueront de s’autodétruire. Nous, nous disons que les buts guident les pratiques humaines et que le pire n’est pas notre seul horizon. Si le formidable développement de notre savoir peut être utilisé pour développer des armes de destruction massive, il peut aussi être utilisé pour vaincre la misère et lutter contre les désastres environnementaux. Chacun doit et peut choisir son camp : ou le peuple maître de son destin et de ses lois, ou le rapt de classe conduit par les hyper riches. Ceux-ci ne sont pas une fatalité ! Nous sommes tous coresponsables et coauteurs de notre destin.

Contre-attaquer

Les formidables mouvements de salariés de fin 2015 n’étaient pas que de la résistance, ils comportaient aussi des ingrédients de contre-attaque. Lorsque les fonctionnaires refusent des coupes budgétaires exigées par les fanatiques du libéralisme, ils exigent aussi à la fois que le savoir soit accessible à tous et que leurs conditions de travail (nombre d’élèves par classe, nombre d’heures pour préparer les cours, etc.) permettent de diffuser un savoir universel qui tienne compte des aptitudes heureusement très diversifiées des élèves. La contre-attaque est déjà dans le fruit, celui-ci doit encore mûrir !