travail et salariat

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Site créé par Christian TIREFORT et Eric DECARRO pour publier leurs analyses, il accueille également celles de la branche suisse du réseau salariat. Le premier en fut le président jusqu’à son décès survenu le 14 décembre 2022.

A propos de l’initiative » « Halte à la surpopulation – OUI à la préservation durable des ressources naturelles », dite « Ecopop »

NON à une initiative xénophobe, raciste et malthusienne !

vendredi 7 novembre 2014 par Christian Tirefort, Eric Decarro

Le Mouvement vers la Révolution Citoyenne (MvRC) rejette catégoriquement l’initiative dite « Ecopop ». Il appelle les citoyennes et citoyens à voter NON. Cette initiative est en effet empreinte de préjugés xénophobes, racistes, paternalistes et néo-colonialistes !

Ce que l’initiative propose

L’initiative fédérale intitulée « Halte à la surpopulation – OUI à la préservation durable des ressources naturelles » vise à modifier la Constitution fédérale dans le sens suivant :

Elle exige de la Confédération qu’elle fasse en sorte que la population résidant en Suisse ne dépasse pas un niveau compatible avec la préservation durable des ressources naturelles. Elle encourage également d’autres pays à poursuivre cet objectif, notamment dans le cadre de la coopération internationale.

Dans ce but,
-  Elle stipule que la part de l’accroissement de la population résidant de manière permanente en Suisse qui est attribuable au solde migratoire ne peut excéder 0,2 % sur une moyenne de 3 ans.

-  Elle exige que sur l’ensemble des moyens que la Confédération consacre à la coopération internationale et au développement, 10 % au moins soit affecté au financement de mesures visant à encourager la planification familiale volontaire.

-  Elle interdit par ailleurs à la Confédération la conclusion de traités internationaux qui contreviendraient aux mesures contenues dans l’initiative ou entraverait leur mise en œuvre.

-  Elle exige de plus, en cas d’acceptation de l’initiative, que les traités internationaux actuellement en vigueur qui contreviennent aux objectifs visés par l’initiative soient modifiés dès que possible, mais au plus tard dans un délai de 4 ans, et, si nécessaire, dénoncés.

-  L’initiative contient enfin des dispositions transitoires qui concernent le rythme de limitation du solde migratoire (pas plus de 0,6 % la 1ère année, de 0,4 % la seconde année et de 0,2 % par an ensuite). Au cas où le solde migratoire s’accroîtrait plus vite, la différence devrait être compensée dans un délai de 5 ans.

Une initiative malthusienne

Comme l’indique son titre, l’initiative « Halte à la surpopulation – OUI à la préservation durable des ressources naturelles » impute la responsabilité de la dégradation des ressources naturelles à la « surpopulation ». Elle en fait la cause – et même la cause exclusive – de la destruction et de l’épuisement des ressources naturelles. Un jugement totalement erroné qui conduit à des mesures absurdes !

L’initiative vise aussi bien la « surpopulation » en Suisse (réduction du solde migratoire à 0,2 %) que dans le monde (10 % de l’aide au développement de la Confédération doivent être consacrés à la planification familiale volontaire).

Dans le sens où l’utilisent les auteurs de l’initiative « Ecopop », le terme « surpopulation » contient une forte charge idéologique. D’une part en Suisse, il vise à rejeter sur les migrant-e-s la responsabilité de la destruction des ressources naturelles ; d’autre part au niveau mondial, cette même responsabilité est attribuée aux populations des pays pauvres.

La notion de « surpopulation » s’inscrit dans la tradition des théories de Thomas Malthus (cf. annexe). Toutes les initiatives xénophobes de Schwarzenbach et de l’Action Nationale des années 70 et 80 se sont basées sur ce concept. L’Action Nationale – et Valentin Oehen qu’on retrouve en soutien d’Ecopop − accusaient déjà les immigré-e-s d’être responsables de « la pollution de l’air et de l’eau ».

L’initiative « Ecopop » a une connotation de classe : les auteurs de l’initiative ciblent en Suisse les migrant-e-s ou les requérant-e-s d’asile ; dans le monde, ils ciblent les populations des pays pauvres « coupables » de faire trop d’enfants.

Pour les auteurs de l’initiative, les nouveaux migrant-e-s, leur famille (en vertu du droit au regroupement familial) et les requérant-e-s d’asile qui fuient les guerres et les dictatures seraient au premier chef responsables des dégâts environnementaux en Suisse. Ils visent aussi indirectement l’ensemble des migrants résidant de manière permanente dans notre pays puisqu’ils fixent une limite en terme de « solde migratoire ». Ce dernier devrait résulter de la différence enregistrée dans l’année considérée entre les nouveaux arrivants et les départs, essentiellement ceux des anciens migrants (ou réfugiés) qui retournent dans leur pays.

Les auteurs de l’initiative « Ecopop » taisent complètement le fait suivant : les mouvements migratoires sont principalement dus à la concentration du capital dans les pays riches. Cela prive les pays pauvres des moyens d’investir chez eux, donc d’y créer des opportunités d’emplois. Simultanément, pour montrer qu’ils font tout pour ne pas être submergés de migrants, les pays riches durcissent les conditions de circulation transfrontalière des personnes cherchant à travailler, et ils éliminent les dernières petites entraves à la libre circulation des capitaux et des marchandises. Ils remettent ainsi en cause la libre circulation des personnes au niveau européen, mais nullement la libre circulation des capitaux et des marchandises qui permettent aux banques et aux multinationales des pays riches de gonfler leurs profits en parasitant les activités sociales dans le monde entier.

Les initiants partent du principe que la population résidante en Suisse n’a aucune responsabilité dans l’épuisement des richesses naturelles, notamment la désertification des sols. Ils ne s’interrogent pas un instant sur le mode de vie découlant du primat donné au processus marchand et au système global. Le concept de « surpopulation » mène naturellement à incriminer les autres et à nous dégager de toute responsabilité. Il fait l’impasse sur les atteintes à l’environnement généré par la course au profit du capitalisme érigé en système mondial.

Les auteurs de l’initiative font comme si, une fois le nombre des nouveaux migrant-e-s limité, l’on pouvait mettre la Suisse « sous cloche » pour nous préserver des pollutions et des atteintes à l’environnement. Ils ne tiennent pas compte que ces phénomène se jouent des frontières ! Selon les partisans d’Ecopop, les personnes qui migrent vers la Suisse sont responsables de la fonte des glaciers, du dérèglement climatique ou du trou d’ozone. Absurde !

Pour les auteurs de l’initiative, la dégradation des ressources naturelles n’a rien à voir avec le mode de production et de consommation actuel. Elle n’a rien à voir avec la production capitaliste axée sur le profit. Elle n’a rien à voir avec un système basé sur l’exploitation de la nature et des êtres humains ainsi que sur la compétition. Elle n’a rien à voir avec la course effrénée à la réduction des coûts au niveau mondial, quelles qu’en soient les conséquences sociales ou écologiques.

Les auteurs de l’initiative sont en effet très sélectifs dans leur diagnostic et leurs exigences.

Ainsi, rien n’est dit :

- sur la multiplication des zones de villas, des résidences secondaires ou des logements et chalets de luxe. L’initiative Weber qui visait à limiter dans les Alpes la multiplication des résidences secondaires a certes été acceptée par le peuple, mais les Chambres fédérales sont en train de la vider de toute substance. L’initiative Ecopop ignore la responsabilité des spéculateurs fonciers et l’appétit vorace des promoteurs immobiliers, en particulier « les maquereaux des cimes » comme les qualifiait l’écrivain valaisan Maurice Chappaz.

- sur la pollution industrielle monstrueuse d’une entreprise comme Lonza qui, dans les années 70, alors que la population était bien moindre, a lâché dans la nature plus de 200 tonnes de mercure dans un canal proche du Rhône, empoisonnant ainsi non seulement les terrains environnants mais jusqu’aux poissons du lac Léman.

- sur les décharges de l’industrie chimique qu’il faut à chaque fois assainir à grands frais pour les collectivités publiques ; sur le scandale écologique récent de l’entreprise Achemis, à Avully, qui a laissé sur place 300 tonnes de déchets chimiques après que le propriétaire se soit mis en faillite ; sur le fait que ce sont finalement les pompiers qui ont dû assainir – toujours à la charge des collectivités publiques - ce site abandonné dans un état déplorable.

- sur les pesticides qui tuent les abeilles et les organismes vivants, détruisant ainsi les écosystèmes, ou encore sur la tendance des multinationales à s’arroger un monopole sur les semences aux dépens des petits cultivateurs et de la diversité biologique.

- sur l’élevage industriel du bétail et des volailles qui, en plus de polluer, dégrade les sites et l’alimentation de tous.

- sur le nucléaire, avec les risques incommensurables qu’il comporte, et la nécessité d’enfouir les déchets qui demeureront radioactifs pendant des siècles.

- sur l’industrie d’armement qui prospère en Suisse comme ailleurs et exporte vers les pays situés dans les zones de guerres.

- sur la division internationale du travail qui transforme un pays comme la Chine en « atelier du monde », au prix d’une pollution monstrueuse des rivières, des fleuves, des sols et de l’atmosphère de ce pays ; sur le fait que la multiplication des transports transocéaniques et transcontinentaux est due à cette division internationale du travail absurde, qui veut qu’on produise toujours plus dans les pays à très bas salaires pour aller vendre sur les marchés des pays à pouvoir d’achat relativement fort.

- sur les conséquences sur les sols de l’utilisation de défoliants chimiques ou de celle, croissante, de bombes à uranium enrichi lors des guerres néo-colonialistes pour la domination et pour le pétrole.

En résumé, rien n’est dit sur l’incompatibilité croissante entre production pour le profit et protection de notre environnement, entre le capitalisme mondialisé hautement prédateur et la préservation des ressources naturelles.

Au contraire, on cherche à tout prix un bouc émissaire à qui imputer la responsabilité des désastres environnementaux. On s’acharne sur les migrant-e-s parce que dans le contexte hyper nationaliste actuel, ils sont des boucs émissaires commodes. Si nos lacs, nos montagnes, nos campagnes, notre air sont pollués, c’est à cause d’eux.

Nous considérons quant à nous que les intérêts des travailleurs/euses et des peuples sont fondamentalement communs dans le monde entier, par-delà les nationalités et la couleur des passeports. Nous savons que si elle n’était pas soumise au profit et cannibalisée par la finance, la productivité croissante du travail devrait permettre de répondre aux besoins de la population mondiale. Nous sommes persuadés qu’il existe des manières de produire et de consommer préservant durablement les ressources naturelles.

Nous aspirons toutes et tous à des revenus suffisants pour vivre, à de bonnes conditions de travail, à des droits politiques et syndicaux effectifs, à lutter contre le fléau qu’est le chômage, à ce que toute la richesse qui se trouve dans le travail humain puisse être mobilisée pour répondre aux besoins des populations, à disposer de services publics gratuits et performants, à lutter contre la pauvreté et les inégalités au niveau mondial, à préserver les ressources naturelles et lutter contre le dérèglement climatique, à combattre les rapports patriarcaux qui oppriment les femmes, à développer les rapports de coopération entre les peuples du monde entier parce que nous sommes interdépendants au niveau mondial, enfin à vivre en bonne intelligence et préserver la paix entre les peuples pour améliorer la situation de toutes et tous.

Une initiative qui renforce la division des travailleurs/euses

L’initiative Ecopop agresse directement l’immigration. Après les initiatives de l’UDC (en particulier celle « contre l’immigration de masse »), elle contribue à augmenter la division des travailleurs/euses en Suisse. Elle colporte une idéologie xénophobe, selon laquelle les migrant-e-s seraient responsables de tous les maux. Dans le contexte de la crise de système actuelle, les classes dominantes ont tout intérêt à diviser le monde du travail pour péjorer encore les conditions de vie et de travail de toutes et tous.

Les auteurs de l’initiative ne s’offusquent absolument pas du fait qu’un quart de la population résidant en Suisse est privée de tout droit politique sur les questions essentielles (fédérales ou cantonales), y compris celles qui concernent la protection de l’environnement ; au contraire, ils chargent encore les migrant-e-s, et en font des coupables et des gaspilleurs de ressources naturelles dans notre pays.

Ainsi l’initiative prévoit que la part de l’accroissement de la population résidante en Suisse attribuable au solde migratoire ne peut excéder 0,2 % par an sur une moyenne de 3 ans. La population suisse comptant environ 8 millions d’habitant-e-s, le solde migratoire de 0,2 % par an s’établit donc à 16.000 personnes environ.

Après l’initiative contre l’immigration de masse de l’UDC, Ecopop durcit aussi les conditions des sans-emplois cherchant à travailler. Ainsi l’initiative remet en cause l’accord entre la Suisse et l’Union Européenne sur le droit des personnes de circuler. Dans le cadre actuel, cette circulation n’est pas vraiment libre car les travailleurs/ses migrent sous la contrainte du chômage et des salaires de misère, mais l’accord contenu dans les bilatérales a ouvert un droit valable pour tous, celui de venir dans l’un des pays concernés pour y occuper un emploi. Outre l’accord sur le droit de circulation, Ecopop remet en question d’autres accords internationaux de la Suisse, en particulier le droit purement humanitaire au regroupement familial ou le droit à l’asile. Par contre, elle ne dit pas un seul mot sur le fait que le capital circule librement, quitte les pays où il est produit pour se fixer là où les travailleurs sont les plus exploités.

L’élément nouveau introduit par cette initiative par rapport à celle de l’UDC, c’est qu’elle chiffre le solde migratoire qui ne doit pas être dépassé sur une moyenne de 3 ans. L’initiative prévoit ainsi de diviser par cinq ou six le solde migratoire enregistré en 2013 (16.000 personnes à la place de 89.000 personnes). Au moment où se discute l’application du vote du 9 février, cette initiative pourrait contribuer à durcir encore la pression sur les migrant-e-s. C’est une raison de plus pour la refuser puisque son rejet relativiserait en la matière y compris l’initiative de l’UDC et renforcerait les positions moins strictes des négociateurs gouvernementaux.

Coup de frein brutal pour l’économie et le financement de la sécurité sociale

Avec cette initiative, non seulement on ne résoudrait en aucune manière le problème de la préservation des ressources naturelles mais on se tirerait une balle dans le pied sur les plans économique, social et démographique.

L’initiative Ecopop vise à diviser les travailleurs et à dresser les Suisses contre les « étrangers », et vice-versa, mais en plus elle porterait gravement atteinte à l’économie, ce qui se répercuterait sur les emplois, diminuerait les rentrées fiscales à disposition des collectivités publiques et remettrait en cause le financement des assurances sociales.

Les auteurs de l’initiative Ecopop se fichent totalement des problèmes économiques que déclencherait l’acceptation de l’initiative, ils ne tiennent compte que de l’effet publicitaire de leur incantation « préserver durablement les ressources naturelles ».

Qu’en sera-t-il exactement ? Au cas où elle serait acceptée, l’initiative accentuerait les difficultés économiques, ce qui toucherait de manière particulièrement dure la partie la plus vulnérable de la population. Les auteurs de l’initiative s’en moquent parce que leur seul but est de stopper la consommation, qu’ils ne tiennent pas compte qu’on pourrait produire autrement, sans polluer et en ayant recours à des ressources renouvelables, qu’ils ne voient qu’une chose : l’autre est superflu, ce qu’il restera à consommer n’est pas pour lui. Dans ce cadre, il n’est pas étonnant de les voir également prôner l’abandon pur et simple des accords permettant la circulation des gens cherchant à travailler.

Les effets de l’initiative Ecopop additionnés aux mesure austéritaires qui s’annoncent au niveau de la Confédération, des cantons et des communes-villes, provoqueraient un sérieux coup de frein conjoncturel. Cela pour rien. En effet, croire qu’en se recroquevillant dans nos frontières on résoudra les problèmes écologiques est également une lourde erreur. Comme le disent les amis de Cornelius Koch « les problèmes écologiques sont un problème mondial qui ne pourront être résolus sous tous leurs aspects qu’au niveau international ».

Les objectifs visés par l’initiative Ecopop rejoignent certaines orientations des tenants de la décroissance. Ceux-ci estiment que toute croissance économique est source de déprédation écologique, mais en préconisant des modes d’existence encore plus frugaux, ils s’attaquent avant tout aux plus pauvres qui ne peuvent déjà pas satisfaire correctement leurs besoins les plus essentiels. Dans une économie marchande une telle frugalité ne pourra jamais être imposée aux riches.

Prendre des positions symétriquement inverses de celle des partisans de la croissance ne résoudra aucun problème écologique, mais éloignera encore plus les solutions progressistes. Il faut cesser de n’agir que sur les leviers de la croissance ou de la décroissance, ce qu’il faut, c’est changer les buts de la production, les arrimer aux vrais besoins des gens. Pour cela, il faut rompre avec le capitalisme qui, du moment que ça mène au profit, se fiche complètement des problèmes environnementaux.

Si elle était acceptée l’initiative n’engendrerait pas que des problèmes conjoncturel, mais elle mettrait aussi en danger de nombreux secteurs de l’économie, cela en provoquant des goulots d’étranglement en matière de main-d’œuvre qualifiée, non seulement pour les entreprises industrielles (par ex. la construction), mais aussi dans des domaines aussi essentielles que la santé, les EMS, l’éducation, les services de voirie, etc. Elle réduirait les recettes des collectivités publiques et des assurances sociales. Les politiques de protection de l’environnement elles-mêmes ne seraient pas exemptées de coupes budgétaires.

Attention aux conséquences démographiques !

L’initiative aurait de plus des conséquences indésirables sur la démographie. Le taux de natalité actuel en Suisse (environ 1,53 enfant par femme) est inférieur au taux nécessaire au renouvellement de la population. Dans les pays développés, le niveau de remplacement est atteint lorsque les femmes ont environ 2,1 enfants. Actuellement, la population en Suisse continue malgré tout d’augmenter grâce au taux de mortalité brut pour 1000 habitants inférieur au taux de natalité brut.

Tous ces facteurs mènent à un vieillissement de la population, une modification de la pyramide des âges qui est une véritable bombe à retardement. En effet, si l’on devait limiter drastiquement la venue de nouveaux migrants, on réduirait la présence sur notre sol de populations jeunes, un phénomène qui serait encore accentué par le simple fait que les femmes d’origine étrangère, déjà proportionnellement plus nombreuses parmi la population en âge de procréer, ont un taux de natalité sensiblement supérieur à celui des femmes suisses. Un tel vieillissement de la population nécessiterait plus de personnel dans les hôpitaux, dans les EMS, etc. Les partisans de l’initiative Ecopop devraient nous dire comment ils feront pour pallier au manque de personnel dans ces lieux stratégiques.

Pour résoudre ces problèmes démographiques, il faudrait au contraire ouvrir les portes à l’immigration.

Si elle était acceptée l’initiative Ecopop entrainerait une augmentation massive du nombre de personnes clandestines, travaillant au noir ou cherchant du travail, offrant ainsi au patronat une main-d’œuvre sans droit, donc corvéable à merci.

L’initiative accroîtrait la bureaucratie. Son application exigerait tout un appareil chargé d’attribuer les permis de travail et de séjour. Elle créerait une compétition entre les secteurs et les entreprises pour l’attribution de ces permis. C’est ainsi que déjà aujourd’hui dans le cadre de l’après-votation du 9 février, les banques exigent que l’attribution des permis se fasse « selon l’apport en valeur ajoutée des différents secteurs ».

Enfin, l’initiative mettrait en concurrence l’attribution de permis de travail avec le regroupement familial ou le droit d’asile. Elle compromettrait même le retour dans le pays des Suisses de l’étranger.

Affecter 10 % de l’aide au développement à la planification familiale ?

L’initiative Ecopop demande d’affecter 10 % des moyens que la Confédération consacre à la coopération internationale au développement au financement de mesures visant à encourager la planification familiale volontaire, spécialement dans les pays pauvres d’Afrique présentant des taux de fécondité élevés. Cette mesure qui représente environ 200 millions de francs prétériterait les efforts déjà bien timides visant à favoriser le développement des pays pauvres, cela au moment où l’aide au développement de la Confédération et des cantons subit de nombreux assauts. Tous les pays dits « développés » font d’ailleurs de même au nom de la lutte contre les déficits !

La revendication des auteurs de l’initiative s’appuie sur la théorie de « l’explosion démographique ». Ils considèrent que la croissance démographique est la cause première de la pauvreté et des déficits en matière de développement et, en dernière analyse, de la dégradation des ressources naturelles dans le monde.

Par cette mesure, l’initiative Ecopop espère ainsi contribuer à la lutte contre la « surpopulation mondiale » et encourager les autres pays donateurs à faire de même.

En fait, l’obligation de ponctionner 10 % des moyens consacrés à l’aide au développement de la Confédération pour les affecter à la planification familiale volontaire va à l’encontre des accords internationaux signés par la Suisse. Ceux-ci prévoient que les pays partenaires dans le processus de développement doivent avoir la priorité pour fixer les priorités dans l’utilisation de l’aide reçue. Ponctionner 10% de cette aide pour les affecter à la planification familiale est un retour à une politique de type néo-colonialiste, où le donateur imposerait sa volonté à ces pays.

C’est une mesure paternaliste qui prétend que la pauvreté des pays en développement proviendrait de leur incapacité de se gérer, que le pillage des richesses de ces pays par les anciens colonisateurs n’aurait en rien gêné leur développement, que l’accaparement de terres, la surexploitation de leur travailleurs et travailleuses par les multinationales, la corruption de leurs bourgeoisies compradore prêtes à tout brader pour un plat de lentilles ne seraient en rien responsable de la misère persistante dans ces pays.

C’est une politique malthusienne qui cherche à culpabiliser les populations des pays les plus pauvres de la planète pour la misère qu’elles subissent et qui les pousse à émigrer dans l’espoir de trouver mieux ailleurs. Les auteurs de l’initiative considèrent que les pauvres font trop d’enfants, qu’à ce titre ils sont eux-mêmes responsables non seulement de leur situation misérable et de l’absence d’emplois dans leur pays, mais aussi de la disparition des ressources naturelles dans le monde.

Par contre les auteurs de l’initiative sont complètement silencieux sur les atteintes portées à la capacité des Etats fraîchement indépendants de soigner, d’éduquer, de procurer un emploi et de protéger socialement leur population suite aux politiques d’ajustement structurel que le Fonds Monétaire International leur a imposées dès les années 80.

On avait fait miroiter à ces pays qu’en contractant des emprunts auprès des banques des pays riches, ils pourraient financer leurs infrastructures, développer leur économie et s’industrialiser. Tous ces pays ont ainsi été piégés au moment où les Etats-Unis ont relevé drastiquement les taux d’intérêt au niveau mondial, tandis que la concurrence des produits provenant des pays industrialisés ruinait leur développement et marginalisait ce qui restait de leur petite production familiale. Résultat : tous les pays ont dû faire des coupes sombre dans leur budget consacrés à l’éducation, à la santé, dans le social, ils ont également dû en grande partie privatiser leurs services publics, ce qui a développé un chômage de masse, tout cela pour payer en toute priorité leur dette auprès des banques des pays riches, dettes qu’ils ont maintenant remboursée au multiple en raison de taux d’intérêt parfois surréalistes.

Il est peut-être vrai que les taux de natalité élevés enregistrés dans certains pays africains (6 ou 7 enfants par femme en Somalie, en Ouganda, au Niger ou au Mali) sont en partie dus à la misère, à la promiscuité de populations qui doivent s’entasser dans des bidonvilles insalubres, aux conditions sanitaires déplorables supportées par ces populations, au faible taux d’alphabétisation et d’éducation (en particulier des femmes), aux rapports patriarcaux auxquels ces dernières sont soumises, et à bien d’autres causes, mais il est aussi vrai qu’on ne luttera pas contre la pauvreté par des plannings familiaux autoritairement imposés. Seules des mesures efficaces pour éradiquer la misère permettront un jour de changer cet état fait.

Lors de la conférence de presse d’Alliance Sud, l’une des participantes, Rupa Mukerji, membre de la direction d’Helvetas et originaire de l’Etat du Tamil Nadu en Inde, a fait valoir combien la limitation des naissances ne dépendait pas seulement de la distribution de moyens contraceptifs. Dans cet Etat pauvre, la distribution d’un repas quotidien dans les écoles a permis la scolarisation des filles. Cela a permis la hausse du niveau général d’éducation, mais aussi repoussé sensiblement l’âge du mariage et du premier enfant. Le taux de fécondité est passé de 3,9 enfants par femme en 1971 à 1,7 en 2012, soit à peine plus que la Suisse. A contrario, dans l’Etat d’Haryana, au nord du pays, nettement plus favorisé économiquement, la persistance d’une société très patriarcale maintient non seulement un taux de natalité élevé mais aussi un ratio nettement déséquilibré entre les sexes avec beaucoup plus de garçons que de filles.

Comme elle le dit à propos de la mesure préconisée par Ecopop : « en tant que femmes de pays en développement, nous n’y verrions qu’une tentative de contrôle du corps féminin par autrui. Ce serait revenir à une coopération au développement conduite par les donateurs et soumise à conditions ».

L’initiative Ecopop est clairement d’inspiration néo-colonialiste, et tend à nourrir les préjugés racistes à l’égard des pays africains.

Tous les arguments qu’elle avance sont focalisés sur le taux de natalité.

Mais l’initiative Ecopop est également absurde dans ses arguments écologiques : même avec leurs taux de natalité élevés, il est évident que les populations africaines ou indiennes sont loin d’être les principales responsables des émissions de gaz à effet de serre qui nous conduisent à des dérèglements climatiques et à un réchauffement de la planète qui les toucheront au premier chef. Ce sont ces populations qui seront les premières victimes des sécheresses, de la désertification, des famines, des inondations dues à l’élévation du niveau des océans ou à des précipitations surabondantes, des typhons dévastateurs, etc.

Comme le dit Peter Niggli d’Alliance Sud, l’empreinte écologique des populations des pays africains est bien inférieure à celle de notre petite Suisse. Rappelons que 85 % des ressources mondiales sont consommées par 15 % de la population mondiale, celle des pays riches.

Ce ne sont pas non plus les populations du Tiers-monde qui sont responsables dans leur pays de la pollution de l’eau potable, de la déforestation, de l’agrobusiness et de l’élevage industriel qui épuisent les terres et polluent les sols, de la surpêche industrielle qui racle les fonds marins et fait disparaître les réserves halieutiques, ruinant ainsi les petit pêcheurs dont les prises sont toujours restées compatibles avec le renouvellement des espèces, de l’exploitation de mines à ciel ouvert, de l’extraction de pétrole ou de gaz offshore, de l’accaparement des terres agricoles par des Etats ou des fonds d’investissement qui se traduisent par l’expulsion des petits paysans de leurs terre et les forcent à se concentrer dans les bidonvilles urbains.

Enfin, si prompts à jeter les nouveaux migrant-e-s en pâture aux citoyens suisses en les incriminant pour la dégradation des ressources naturelles de notre pays, les auteurs de l’initiative se gardent bien de cibler les pratiques prédatrices au niveau mondial des entreprises spécialisées dans le commerce des matières premières qui se concentrent dans notre pays, en particulier à Zoug et Genève. Les entreprises d’extraction et de commerce du pétrole qui multiplient les sites d’extraction off shore, les entreprises de commerce du grain qui multiplient les transports maritimes sur tous les océans, les multinationales qui pratiquent l’optimalisation fiscale à grande échelle au détriment des pays pauvres et de l’ensemble des travailleuses et travailleurs dans le monde, les entreprises qui se développent verticalement et ouvrent des mines à ciel ouvert, toutes sont mille fois plus nuisibles que toutes les personnes qui doivent migrer pour pouvoir travailler.

L’initiative Ecopop ne mérite qu’une chose, qu’on la rejette, et massivement

ANNEXE

Dans la droite ligne des théories de Thomas Malthus !

L’initiative « Ecopop » s’inscrit dans la droite ligne des travaux sur la surpopulation de Thomas Malthus. Cet économiste et pasteur de l’Eglise d’Angleterre officielle est l’auteur d’un ouvrage publié en 1798 et intitulé « Essai sur le principe de la population » ; dans cet essai, il prétend expliquer la misère régnant à son époque par le fait que la population croîtrait tous les 25 ans de manière géométrique (2, 4, 8 …) tandis que les subsistances ne croîtraient dans le même temps que d’une manière arithmétique (2, 3, 4 …). Dans la 2ème édition de cet ouvrage en 1803, il accentua encore la dureté de sa thèse avec sa célèbre phrase sur le « banquet de la nature » : « un homme, s’il ne peut obtenir ses moyens d’existence de ses parents (…) et si la société ne peut pas utiliser son travail, cet homme n’a pas le moindre droit à la plus petite portion de nourriture, et en réalité, il est de trop sur la terre. Au grand banquet de la nature, il n’y a pas de couvert mis pour lui ; la nature lui commande de s’en aller, et elle ne tarde pas à mettre cet ordre elle-même à exécution [1].

Dans une édition suivante de son ouvrage, atténuant la violence de ses propos, il préconise comme issue à cette contradiction la contrainte morale, c’est-à-dire le célibat, ou la continence pour les gens mariés qui n’ont pas de quoi assurer la subsistance de leurs enfants.

Marx, quant à lui, exprime le plus grand mépris pour Malthus qu’il considère comme un sycophante de l’aristocratie foncière prêt à tout pour défendre les rentes et les sinécures de celle-ci, en même temps qu’il justifie la misère des producteurs de la richesse, les travailleurs/euses, et fait l’apologie des exploiteurs du travail. Autant Marx loue Ricardo et Smith pour leur approche scientifique de l’économie, autant il estime que Malthus, dont les travaux reposent par ailleurs sur un plagiat, est prêt à falsifier les données scientifiques pour les faire correspondre à l’intérêt de l’aristocratie foncière [2].

Le contenu de l’initiative Ecopop sur la surpopulation est certes moins brutal et cynique que les thèses de Malthus, mais il procède de la même logique réactionnaire : il soumet les êtres humains aux choses, il considère que le monde est surpeuplé et qu’en conséquence les êtres humains en surnombre sont superflus et responsables des atteintes aux ressources naturelles. Selon Ecopop il faut réduire cette population à un niveau compatible avec la préservation durable des ressources naturelles, tandis que pour Malthus il fallait adapter la population au manque de subsistances.

A l’instar de Malthus, il s’agit d’une vision pessimiste de l’humanité : on n’imagine même pas qu’il puisse y avoir des modes de vie, de production et de consommation moins destructeurs et moins gourmand en ressources, voire les préservant. On n’imagine pas non plus que l’humanité puisse receler des potentialités en termes de compétences, de connaissances scientifiques et de formation qui permettraient d’inverser les processus dévastateurs actuels, de protéger les ressources naturelles et de déboucher sur une répartition plus juste des richesses au niveau mondial. On éternise la situation actuelle, on considère péremptoirement que la surpopulation humaine, désignée comme seule et unique responsable de l’épuisement des ressources naturelles, doit impérativement être réduite et adaptée aux ressources, alors que les êtres humains et les ressources naturelles forment un tout, que c’est la relation entre les deux qui doit être transformée. Les êtres humains sont en effet eux-aussi partie de la nature, ils souffrent dans leur santé et leurs conditions de vie des atteintes à l’environnement qui est aussi le leur. Ils souffrent aussi dans leur grande majorité du mode de production exploiteur, dévastateur, prédateur et ils subissent aussi l’organisation sociale injuste du monde actuel. C’est cela que les hommes doivent changer, pas leur nombre.

Si Malthus soumettait la population aux subsistances, l’initiative Ecopop la soumet à la préservation des ressources durables ; elle fait de la surpopulation (en Suisse les migrants ; au niveau mondial, les pauvres qui font trop d’enfants) la cause exclusive et absolue de la dégradation de l’environnement naturel.

Par contre l’initiative fait totalement abstraction de la logique destructrice du système actuel ; elle fait aussi totalement abstraction du pouvoir de classe qui voit son intérêt dans la perpétuation du rapport marchand.

[1André Piettre « Histoire des doctrines économiques », Editions Dalloz p. 69

[2« Le calotin Malthus par contre, pour l’amour de la production, ravale les travailleurs au rang de bêtes de somme, les condamne même à mourir de faim et au célibat. Partout où ces mêmes exigences de la production amenuisent « la rente » du landlord ou portent atteinte à la dîme de « l’Established Church » (…), partout donc où il s’agit de défendre un intérêt quelconque de l’aristocratie contre la bourgeoisie, ou de la bourgeoisie conservatrice et stagnante contre la bourgeoisie « progressive » - dans tous ces cas « le calotin » Malthus ne sacrifie pas l’intérêt particulier à la production, mais cherche tant qu’il peut, à sacrifier les exigences de la production à l’intérêt particulier de classes ou de fractions de classes dominantes, en place. Et à cette fin, il falsifie ses conclusions scientifiques. C’est cela sa vilénie scientifique, son péché contre la science, sans parler de son travail de plagiaire qu’il pratique impudemment et dont il fait profession. Les déductions scientifiques de Malthus sont « pleines d’égards » vis-à-vis des classes dominantes en général et vis-à-vis des éléments réactionnaires de ces classes dominantes en particulier ; c’est-à-dire qu’il falsifie la science pour ces intérêts. Elles sont par contre sévères, tranchantes, sans égards en ce qui concerne les classes sous le joug : il n’est pas seulement brutal. Il affecte la brutalité, cyniquement, il se complaît dans cette attitude et exagère les conséquences dans la mesure où elles frappent les misérables, même au-delà de ce qui, de son point de vue, serait scientifiquement justifié » Cf. Karl Marx, « Théories sur la plus-value », Editions sociales, Tome II, p. 127-128.