Critiquer la société capitaliste, c’est bien, réclamer un autre monde possible, c’est légitime, mais tout cela restera incantatoire si nous ne disons pas ce que cet autre monde sera.
Site créé par Christian TIREFORT et Eric DECARRO pour publier leurs analyses, il accueille également celles de la branche suisse du réseau salariat. Le premier en fut le président jusqu’à son décès survenu le 14 décembre 2022.
Le Mouvement vers la Révolution citoyenne (MvRC) m’a sollicité pour écrire une prise de position/pamphlet sur la dernière initiative tendant à réduire la population étrangère. Le grand argument est ici de nature malthusienne. Le MvRC a accepté ce texte et appelle à rejeter cette nouvelle tentative d’occuper le débat pour occulter ce qu’il faudrait réellement discuter : comment chasser le capital, que mettre à sa place ?
« Le problème est réel » disent certains, en toute bonne foi, lorsqu’ils entendent parler des pénuries de produits comme le blé ou le riz, voire le pétrole, de famines dues à la sécheresse. Si ces produits venaient à manquer, ce serait le niveau de consommation de celles et ceux qui ont de l’argent qui serait remis en cause. Surpopulation et pénurie sont intimement liés, dans les têtes évidemment. La réalité est autre.
Éliminons ici une première confusion : les pénuries sont en réalité à lier à un mode de vie basé sur un consumérisme matériel imposé que l’on reconnaît de plus en plus suicidaire, pas à trop de bouches à nourrir. L’idée de trop de bouches à nourrir est moyenâgeuse, elle ignore tout ce qui s’est passé durant les deux derniers siècles, notamment ce qui est devenu possible grâce à la formidable amélioration de la productivité du travail humain.
Précisons encore que les deux concepts, le « bien-vivre » et le « niveau de vie », n’ont rien en commun. Le premier implique un ensemble de valeurs et de droits accessibles à tous, donc universels. Le deuxième implique un consumérisme de plus en plus incontrôlé qui, en gros, dit : « plus tu consommes, plus ton niveau de vie est élevé ». Consommer = être heureux. Chacun peut juger de la qualité de ce bonheur !
« Encore une initiative xénophobe ! » a-t-on tout d’abord envie de dire, en s’en désintéressant. Il y a tellement d’autres choses à faire. Puis la question nous travaille, à l’intérieur : et si elle passait aussi, comme celle de l’UDC votée début février ? On verrait encore une fois tous les malfrats racistes construisant leur carrière sur la haine des autres jubiler et parader derrière la supposée adhésion populaire à leurs thèses inlassablement ressassées. « Aujourd’hui comme hier, il y a des gens en trop, il faut éliminer le surplus, garder le bon grain, éliminer le mauvais » clament-t-ils sur tous les tons et à toutes les sauces.
Alors on y regarde de plus près, et le mépris et le dégoût nous gagnent. On se croirait retournés il y a plus de deux cent ans, lorsque Malthus avait lancé ses thèses sur l’impossibilité de nourrir plus de monde que ce que la terre pouvait offrir. Il appuyait sa thèse sur des supposées constantes mathématiques, selon lui la population augmenterait de manière géométrique, tandis que la terre ne pourrait nourrir plus que ce que la nature offre. Et de lancer son tonitruant constat : « Un homme, s’il ne peut obtenir ses moyens d’existence de ses parents (…) et si la société ne peut pas utiliser son travail, cet homme n’a pas le moindre droit à la plus petite portion de nourriture, et en réalité, il est de trop sur la terre. Au grand banquet de la nature, il n’y a pas de couvert mis pour lui ; la nature lui commande de s’en aller, et elle ne tarde pas à mettre cet ordre elle-même à exécution ».
On dirait que rien ne s’est passé depuis l’époque de Malthus, il y a plus de deux siècles. Pourtant tout le montre, ce qu’offre la nature, tant en quantité qu’en qualité, dépend du travail des hommes.
L’initiative « Ecopop » (voir une analyse plus exhaustive sur le site du mvrc : www.mvrc.ch ou dans le présent site sous le titre "NON à une initiative xénophobe, raciste et malthusienne !) stipule que la part de l’accroissement de la population résidant de manière permanente en Suisse qui est attribuable au solde migratoire ne peut excéder 0,2 % sur une moyenne de 3 ans. Elle s’attaque donc essentiellement aux travailleurs migrants. Certaines personnes qui ne voient les questions environnementales que sous l’angle de la décroissance pourraient aussi être séduites par l’idée : « moins de population = moins de croissance, donc moins de production, moins de pollution ». Ce parallélisme est plus que discutable.
Il y a très certainement un immense désastre environnemental, mais il n’a rien à voir avec une surpopulation et tout à voir avec les conditions de production et de distribution capitalistes. Les vraies questions sont : que produire ? Comment produire ? Et comment faire pour que nous ayons tous accès au produit du travail ? C’est à cela qu’il faut s’attaquer, sans laisser mourir les pauvres gens parce qu’ils n’ont pas accès « au grand banquet de la nature ».
Qu’on produise des canons, des gadgets, des objets de luxe, que certains magnats dépensent des montagnes d’argent pour leur énième yacht, leurs jets et résidences secondaires, que d’autres pauvres erres bien plus nombreux n’ait pas un sous pour se nourrir, n’a rien à voir avec une surpopulation, quelle qu’en soit la forme. Ces dysfonctionnements patents découlent d’un problème socio-économique : pour qui et comment produisons-nous ? Notre société est asservie au profit et aux profiteurs, c’est eux qui ne doivent plus pouvoir nuire. Tel est le vrai problème.
Que faute de trouver à travailler chez elles, des populations entières doivent se déporter pour chercher à travailler ailleurs, là où le capital va et se concentre, ce qui crée immanquablement des soldes migratoires, n’est pas dû à la surpopulation, mais au fait que d’énormes masses de capitaux quittent les lieux où elles ont été produites. Elles se sont concentrées dans peu de mains, ont été planquées en lieu sûr, dans de nombreuses places offshore, pour qu’elles soient hors de portée de celles et ceux qui font la société.
Et soulignons ce point : le capital enlevé aux peuples provient du pillage systématique des ressources naturelles et de l’exploitation des travailleurs tant dans les pays du tiers-monde que dans les citadelles dites « riches », il manque cruellement là où il devrait être ; il est surabondant là où il ne devrait pas être.
Que des fractions importantes de travailleurs dans le monde entier soient employées pour produire des gadgets parfaitement inutiles dans des conditions plus que dommageables pour leur santé et l’environnement, que des proportions énormes des capitaux subtilisés aux peuples soient vilipendées pour fabriquer des bombes et faire la guerre à des pauvres gens, qu’un grand nombre de citoyens soient achetés et instrumentés dans des structures ne servant qu’à détourner les plus-values issues de la production sociale au profit de magnats de plus en plus riches et incontrôlés, que nous manquions des moyens les plus élémentaires pour développer des hôpitaux, des écoles, la recherche scientifique, que de nombreuses personnes ne trouvent pas d’emploi et soient exclues, qu’on vole les terres à celles et ceux qui les travaillent pour les brader à des trusts qui les pollueront et les rendront stériles, tout cela n’a rien à voir avec la surpopulation, mais sont des conséquences d’un système économico-politique obsédé par le profit et se fichant complètement des conséquences sociales et environnementales de leurs prébendes.
Nous pouvons changer tout cela, c’est techniquement possible. La formidable productivité du travail humain peut être mise en œuvre pour autre chose que le profit d’une caste sans scrupule. On est maintenant capable de produire bien plus que le minimum de la survie. Cette chance doit être saisie.
On verra alors que chaque homme et chaque femme sont précieux, que personne n’est superflu parce que chacun/chacune porte en lui la capacité de produire bien plus que ce qu’il a besoin de consommer. L’idée de surpopulation est un produit de la haine.
Il faut savoir se servir de la fertilité du travail humain, elle est une chance. Pour commencer, il faut changer les rapports sociaux, que les peuples puissent s’approprier le pouvoir et la démocratie. Nous nous y emploierons de toutes nos forces.
Contacter le MvRC : Mail : info@mvrc.ch.