Critiquer la société capitaliste, c’est bien, réclamer un autre monde possible, c’est légitime, mais tout cela restera incantatoire si nous ne disons pas ce que cet autre monde sera.
Site créé par Christian TIREFORT et Eric DECARRO pour publier leurs analyses, il accueille également celles de la branche suisse du réseau salariat. Le premier en fut le président jusqu’à son décès survenu le 14 décembre 2022.
Eric était un des rédacteurs et administrateurs de ce site. Il est décédé après un combat contre une suite de cancers devenus inguérissables. Il a supporté sa maladie avec un grand courage. Ceux/celles qui visiteront ce site le constateront, Eric était un homme qui cherchait la vérité sans fuir la réalité.
Cher Eric,
S’il faut mettre un visage sur les luttes des travailleuses et travailleurs, c’est le tien. Tu ne manquais aucune de leur lutte, que ce soit dans l’industrie, les services, le secteur privé, le secteur public et quelles que soient leurs localisations géographiques : ton lieu de travail, ta ville, ton canton, ton pays ou celui des autres, toutes les luttes t’intéressaient. Tu disais toujours qu’il faut les unir, et que cela n’était possible qu’en unissant les peuples.
Mais tu n’en es pas resté là, tu savais que certains combats sont plus importants que d’autres, qu’il faut savoir choisir ses priorités. C’est ainsi que très tôt tu as vu que les paradigmes sociaux évoluaient inexorablement, et pas dans le bon sens : malgré une productivité du travail capable de créer toujours plus de richesses, le fossé entre pauvres et riches ne faisait que se creuser, mondialement.
Cela a fortement influencé tes activités, de principalement syndicales et nationales elles sont largement devenues politiques, centrées sur la recherche de nouveaux paradigmes sociaux répondant aux questions de fond : comment produire, ce qui t’amenait à te questionner sur le rapport au travail ; que produire et pour qui produire, ce qui posait la question du rapport marchand, produire pour les besoins de base des populations ou pour le profit des plus riches.
Pour mieux propager tes nouvelles préoccupations et idées, tu n’as alors pas hésité à te présenter à des postes clés de certaines organisations. Ta candidature à la présidence du ssp/vpod national a été l’occasion d’un débat vif portant tant sur le rôle des syndicats et l’emprise social-démocrate sur eux que sur la lutte contre les privatisations et ce qu’elles signifiaient pour la qualité des prestations aux populations. La mobilisation contre TISA te doit beaucoup.
Pendant de longues années nous nous sommes alors retrouvés les deux à des postes clés, toi à la présidence du Syndicat des services publics, moi président central du syndicat des média, comedia, et nous nous sommes immédiatement mis d’accord pour préserver trois heures par semaines à discuter tant des problèmes locaux que nationaux, ainsi que de la situation internationale.
Ensemble nous avons très vite repéré une question clé : l’extrême-droite opposait l’intérêt des Nations à la Mondialisation, dans les deux cas les intérêts des peuples étaient bafoués, ceux-ci étaient appelés à se battre les uns contre les autres pour, soi-disant, défendre leurs intérêts. Ce faisant, ils perdaient l’essentiel de leurs capacités de lutte, ce qui renforçait les carriéristes d’extrême-droite. Nous avons vite compris qu’à la place de semer la haine, il fallait promouvoir l’amitié entre les peuples plutôt que culpabiliser les travailleuses et travailleurs qui votaient « mal ». Nous avons alors dans les moments clé organisé des fêtes pour fraterniser plutôt que de jeter des anathèmes.
Cher Eric, ton poste de président n’était pas qu’honorifique, mais jusqu’alors tu voyais le syndicalisme principalement sous l’angle de gagner ou perdre sur le plan des conditions immédiates de travail. Puis il y a eu Porto Allègre. Cet évènement a internationalisé ta vision du monde. En marge du Forum social mondial, tu as pu voir les conditions de vie de populations en lutte contre l’impérialisme qui les privait de leur terre. Pour eux le syndicalisme était une question de vie ou de mort et l’internationalisme n’était pas qu’une question abstraite. Tu t’es alors fortement engagé sur ce terrain pour toi devenu décisif.
Tes interventions frappaient souvent les esprits.
Je me souviens encore d’un forum social qui s’est tenu à Paris sur la question du Traité européen. Tu devais y parler au nom de la représentation de Suisse. Jusqu’alors les interventions avaient été polies, toutes cherchaient des arguments raisonnables qui dédouaneraient leurs auteurs des accusations de nationalisme étroit. Toi, tu es intervenu en énonçant les arguments implacables contre ce traité qui séquestrait les pouvoirs des peuples au nom d’un économisme de bas étage. Tu as été interrompu à plusieurs reprises par les applaudissements des 3000 personnes présentent au meeting et ton intervention s’est terminée sur une ovation debout.
Je me souviens aussi de ton admiration pour le Forum social européen de Florence qui s’est terminé par une manif contre la guerre rassemblant près d’un million de personnes. Je me souviens enfin du Forum social de Copenhague qui t’avait déçu parce qu’il menait à une sectorialisation évitant les débats globaux, internationaux.
J’appréciais ton assiduité aux séances. Toutes les interventions t’intéressaient, ce qui montrait ton extraordinaire ouverture d’esprit et ton immense estime pour les gens.
Cher Eric, je n’oublierai jamais que tu t’intéressais aux gens pas seulement pour ce qu’ils étaient politiquement, mais pour eux-mêmes. Tu savais discrètement montrer ton affection dans les actes. Lorsque j’ai été hospitalisé à plusieurs reprises à cause d’un cancer tu es venu me voir presque chaque jour, ce qui m’a grandement aidé à surmonter mon épreuve.
Cher Eric, maintenant tu es parti. Quand je parlerai de toi, ce sera au passé. Ce sera dur, mais il me restera ton souvenir, il m’aidera.
Je prie Marina, ses enfants et petits enfants d’accepter mes condoléances.
La vie continue. Adieu Eric.