Critiquer la société capitaliste, c’est bien, réclamer un autre monde possible, c’est légitime, mais tout cela restera incantatoire si nous ne disons pas ce que cet autre monde sera.
Site créé par Christian TIREFORT et Eric DECARRO pour publier leurs analyses, il accueille également celles de la branche suisse du réseau salariat. Le premier en fut le président jusqu’à son décès survenu le 14 décembre 2022.
Le gros des populations ainsi qu’une bonne partie de la gauche est tétanisée lorsqu’il s’agit de prendre position sur le conflit entre Israël et la Palestine. On oublie trop souvent que l’Etat d’Israël n’est plus principalement une terre d’accueil des populations juives persécutées, il est devenu le bras rallongé armé des Etats-Unis d’Amérique.
Oui, la Shoa a été une horreur absolue. Nous ne l’oublierons jamais.
Oui, l’esclavage a été une horreur absolue. Lui aussi, nous ne l’oublierons jamais.
Oui, le massacre des Indiens d’Amérique a de même été une horreur absolue. Nous avons trop tendance de l’oublier.
Et les guerres dites « modernes », où les victimes sont avant tout des civiles, hommes, femmes ou enfants, non seulement complètement innocentes mais de plus complètement désarmées, ne sont-elles pas aussi des horreurs absolues que rien n’excuse ? Nous disons oui. Rien ne les justifie, rien ne les excuse, surtout lorsqu’elles sont menées sous des prétextes humanitaires, mais qu’elles ne font que consacrer la loi du fort sur le faible, en réalité la loi des plus armés, la terreur de ceux qui ont la technologie et, avec elle, l’arme absolue… la bombe atomique.
Tous ces crimes s’additionnent, l’un ne peut annuler l’autre, ils ne s’excluent pas. Aucun d’eux ne justifie l’autre, aucun ne doit être oublié. Nous devons les assumer, et nous les assumerons même s’ils représentent des pages sombres de notre histoire.
Mais assumer toute notre histoire, ce n’est pas justifier des crimes nouveaux, même s’ils sont commis par des victimes de jadis. Nous devons au contraire toutes et tous travailler pour que l’horreur ne se renouvelle jamais, parce que rien ne peut la justifier, rien ne pourra jamais la justifier. Surtout lorsqu’elle est commise au nom de l’Humanité.
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Humanité ! Le grand mot est lâché. Pour certains c’est un gros mot.
Pensez-donc, l’Humanité qu’est-ce donc ? Seuls les intérêts individuels existent vraiment, et ceux-ci, il faut savoir les représenter, ou plutôt les imposer sur le Marché, le grand bastringue mondial. Là-dessus, c’est l’heure de vérité pour tout le monde, le tri entre les gagnants et les perdants. Tant mieux pour les premiers, tant pis pour les seconds.
Il y a peu de gagnants ? Bien sûr, c’est la force des choses, la sélection naturelle. Les rares gagnants en sont d’autant plus précieux !
Dans un tel cadre, que vaut l’Humanité ? Pas grand-chose.
Parfois, le mot fait bien dans les discours, mais uniquement en tant que garniture ; on pourrait y renoncer sans problème pour faire place à d’autres causes, dites « plus concrètes », chacune plus urgente que toutes les autres, chacune représentant un intérêt dit « supérieur », chacune digne d’une guerre. A croire que sauver l’Humanité devrait passer par sa destruction, que l’universalité de ses valeurs serait nécessairement contraire aux intérêts des individus. L’Histoire est triste à lire lorsqu’on ne la voit qu’au travers des guerres.
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Heureusement, l’Histoire peut aussi être avantageusement lue autrement, à partir des peuples qui travaillent pour vaincre l’injustice, la misère et la précarité ; c’est l’Histoire de l’ensemble des femmes et des hommes qui produisent la société. Cette Humanité-là, nous la revendiquons, elle s’organise en peuples constitués de gens que la vie a rassemblé. L’ensemble de la planète lui appartient.
Les peuples ne sont ni bons, ni mauvais, ils sont ce que les gens qui les constituent en font. Ils doivent tous avoir le droit d’exister. Pour cela, il faut que notre Humanité, qui est une et indivisible, reconnaisse les valeurs universelles, ainsi que les droits qui les concrétisent. Ces droits sont au moins une terre qu’on travaille et qui nourrit, de l’eau sans quoi aucune vie n’est possible, des habitations qui protègent, des cultures qui s’enrichissent de leurs différences.
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En son temps, certains peuples, parmi eux les esclaves d’Afrique, les Indiens d’Amérique, le peuple d’Israël, ont été déracinés et privés du droit qui commande tous les autres : un lieu où vivre sa culture.
Bien sûr que le peuple d’Israël a été dispersé, condamné à l’exil, parfois encore à subir une dégradante « tolérance » chez les autres. Lui aussi a été parqué sur des territoires appelés des « réserves », comme s’ils n’étaient pas des humains comme tout le monde. Certains fous ont essayés de l’éradiquer à jamais, comme une maladie.
Bien sûr qu’en son temps de nombreuses régions d’Afrique ont été occupées par des « civilisés », elles ont été pillées. Leurs populations ont été déportées, décimées, pour, loin de chez elles, servir d’esclaves. Ensuite, à peine libérées de l’esclavage, elles ont subi et subissent encore le racisme et diverses formes d’apartheid. Elles aussi ont été parquées dans des sortes de réserves consacrant leur infériorité, elles aussi ont subi les lois des « maîtres blancs », asservies elles ont été utilisées comme de la main-d’œuvre bon marché.
Bien sûr qu’en son temps les divers peuples des Indiens d’Amérique ont été chassés de leur territoire, leurs populations systématiquement poursuivies et physiquement anéanties, pour finir dans des réserves où elles subissent encore les lois d’oppresseurs qui, soi-disant, représentent la civilisation.
Toutes ces tragédies s’additionnent, aucune ne doit être relativisée, elles ont été à divers titres des tentatives d’éradiquer des parties de l’Humanité.
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Aujourd’hui, et cela montre que souvent nous refusons encore de reconnaître toute notre Histoire, y compris ses aspects les plus sombres, c’est le peuple palestinien qui se bat contre son éradication. Il défend son droit d’exister. Il lutte pour une patrie qu’on est en train de lui voler. On le « diasporise », on le condamne à l’exile. Selon ses bourreaux, le peuple palestinien devrait aussi se contenter de réserves surpeuplées où l’eau manque, des réserves qui consacrent son fractionnement, et il devrait y subir des lois qu’il ne s’est pas lui-même données.
Dans ces conditions, le peuple palestinien n’a d’autre choix que se battre avec les moyens qu’il trouve : quelques roquettes qui prouvent qu’il existe encore contre les armes super sophistiquées mises à disposition de l’armée israélienne par les Etats-Unis d’Amérique.
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On a trop tendance à l’oublier, l’Etat d’Israël est le bras rallongé de l’impérialisme des Etats-Unis d’Amérique au Proche-Orient. C’est en réalité contre cet impérialisme que le peuple palestinien se bat, pas contre le peuple juif. Non seulement l’Etat américain nourrit les guerres au Proche-Orient, mais, en plus, il balise toutes les voies diplomatiques : il use et abuse de son droit de veto au Conseil de sécurité, il refuse toute solution qui ne soit pas une capitulation ou, au moins, un renoncement définitif des Palestiniens au statut de peuple.
Il n’y aura pas de paix au Moyen-Orient tant qu’Israël y assumera la fonction de bras rallongé des Etats-Unis.
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N’en déplaise aux humanistes de pacotille autoproclamés dépositaires de la culture et de la civilisation, mais prônant à toutes les sauces et partout dans le monde des guerres inhumaines pour sauver ce qu’ils appellent la paix, ce qui est refusé aux Palestiniens, c’est le premier des droits humains, être un peuple. En se battant pour ce droit les Palestiniens se battent pour tous les peuples du monde.
Affirmer cela n’a rien de partial, c’est au contraire reconnaître la différence entre l’oppresseur et l’opprimé. Dire cela n’a non plus rien de raciste ou antisémite, c’est au contraire reconnaître que l’Humanité est indivisible, et que les différences culturelles venant de la vie elle-même enrichissent notre patrimoine commun. Le peuple palestinien fait partie de ce patrimoine. Ne permettons pas son éradication !
Christian Tirefort, auteur du « Manifeste pour un nouveau contrat social » publié par les Editions l’Harmattan, Paris.