travail et salariat

Critiquer la société capitaliste, c’est bien, réclamer un autre monde possible, c’est légitime, mais tout cela restera incantatoire si nous ne disons pas ce que cet autre monde sera.

Site créé par Christian TIREFORT et Eric DECARRO pour publier leurs analyses, il accueille également celles de la branche suisse du réseau salariat. Le premier en fut le président jusqu’à son décès survenu le 14 décembre 2022.

Décès de Christian TIREFORT le 14 décembre 2022

Christian était un artisan du renouveau syndical durant les années d’après guerre

lundi 26 décembre 2022 par Claude Reymond

2022-12-23 BIEDERMANN William
expression aux funérailles de Christian TIREFORT

La partie en bleu n’a pas été formulée.

Christian était un artisan du renouveau syndical durant les années d’après guerre. En ce temps là, en Suisse, le mot grève était synonyme d’inconscience. Il y avait le plein emploi, le lendemain d’un congé on retrouvait un boulot mieux payé.

J’ai travaillé avec lui durant 20 ans dans la même entreprise, il faisait de la politique comme beaucoup. Puisqu’il était très persuasif et qu’il comprenait les problèmes des travailleurs, il devint le porte-parole de tous.

Dans le cadre des discussions entre militants syndicalistes, en 1975, Christian suggéra à son camarade Ronald MARTIG de s’engager chez Atar de façon à renforcer le courant syndical qu’ils représentaient tous les deux.

Ils réussirent rapidement à faire accepter un statut de la commission du personnel qui a introduit notamment du temps payé pendant les heures de travail pour tenir nos assemblées.

Les typographes, les relieurs et les lithographes genevois travaillèrent début 1976 sur la revendication de la diminution des horaires de travail par la voie contractuelle puisqu’ils présumaient que l’initiative lancée par les Organisations progressistes de Suisse sur la question n’aboutirait pas. En effet, en décembre 1976 le peuple rejeta à 78% l’initiative sur les 40 heures.

Christian et son Groupe de base s’employèrent au dépôt d’un préavis genevois, puis à l’organisation d’une grève pour soutenir les revendications syndicales. Et malgré l’adversité, les arguties des patrons et les doutes ou contestations de certains syndicalistes, on traitera Christian d’inconscient, le jour J arriva : la salle du Faubourg était pleine, il avait gagné.

Les négociations contractuelles ont pris en compte le rapport de force créé, toutes nos revendications furent introduites dans le CCT sur une période de quatre ans.

Toujours très déterminé, un jour Christian décida d’arrêter de fumer, il avait son paquet de cigarettes sur sa place de travail comme une provocation.

Après la mort de mes parents, Christian me proposa dans les années 1980 d’entrer au comité de section, je fus élu et j’ai pris les procès-verbaux jusqu’en 2014.

Quand, avec quelques camarades, il lança une publication politique appelée le Compte à Rebours, il proposa que son premier numéro porte le chiffre 1000, sachant qu’il nous faudrait du temps pour arriver à l’objectif – soit la révolution.

Il avait comme but de devenir président du syndicat sur le plan suisse : pour ce faire il a appris l’allemand entre midi et 14 heures avec une cassette. Lors de ses mandats, il a défendu le syndicat devant le Tribunal de Berne en allemand concernant la rémunération des auxiliaires de la reliure industrielle. J’ai assisté à l’audience avec d’autres collègues pour le soutenir.

A l’époque, il s’agissait pour nous d’obtenir l’égalité salariale entre auxiliaires hommes et femmes, elle était déjà assurée pour les personnes qualifiées depuis longtemps. On savait bien que le Parlement préparait une loi sur la question de l’égalité, mais nous étions plusieurs à considérer que sa notion « à travail de valeur égale, salaire égal » ne résoudrait rien puisqu’en soit ce n’est pas le travail qui à de la valeur, mais la force de travail qui le réalise.

Bref, sur cette question, le premier résultat des négociations contractuelles de 1980 préconisait la création d’une nouvelle catégorie salariale des auxiliaires dite petite machine ou travaux légers, cela signifiait surtout une diminution du salaire minimum à l’embauche de 300 francs de celui dévolu aux hommes. Ce résultat fut rejeté par 88% des syndiqués en votation générale. Alors les mesures de lutte sont engagées et des arrêts de travail ont lieu un peu partout. Les secondes négociations s’achèvent avec notamment un Avenant signé le 1er décembre 1980 prescrivant premièrement que les femmes effectuant des travaux lourds ou pénibles et travaillant sur grandes machines seront payées comme les hommes, deuxièmement qu’il n’y a plus qu’un salaire minimum pour les hommes soit le plus élevé, et troisièmement que les auxiliaires hommes ou femmes effectuant des tâches qualifiées accèdent aux salaires des professionnels.

Le Tribunal débouta le syndicat parce la partie adverse avait trouvé une ouvrière syndiquée qui considérait le dispositif comme discriminatoire à égard des femmes.

Cet Avenant fut annulé, mais les hommes conservèrent leur salaire correct, et les femmes ne reçurent rien parce qu’une prochaine loi allait tout régler. Laquelle pourtant, comme vous le savez, n’a pas encore garanti l’égalité salariale à l’avantage des femmes.

Je tire de cette expérience la considération suivante : mieux vaut aménager lentement un chemin solide et sûr plutôt que de vouloir tout de suite les plus belles réalisations, mais sans être en mesure d’y apporter les pierres nécessaires.

Dans les années 1995 à 1998, Christian organisa des conférences de nature politique, dans lesquelles il relativisait l’action syndicale et social-démocrate dans la perspective d’un changement de société, auxquelles je participais avec intérêt.

J’ai 86 ans, j’espère qu’il y aura une relève syndicale, je salue une dernière fois Christian et je vous remercie de m’avoir écouté