Critiquer la société capitaliste, c’est bien, réclamer un autre monde possible, c’est légitime, mais tout cela restera incantatoire si nous ne disons pas ce que cet autre monde sera.
Site créé par Christian TIREFORT et Eric DECARRO pour publier leurs analyses, il accueille également celles de la branche suisse du réseau salariat. Le premier en fut le président jusqu’à son décès survenu le 14 décembre 2022.
2022-12-23 REYMOND Claude funérailles de Christian TIREFORT
Pour l’histoire, avant le décès de Christian, j’aurais utilisé le NOUS, maintenant je ne peux qu’user du JE.
La partie en bleu n’a pas été formulée.
Je suis né à Vevey en 1955,
je suis arrivé à Genève en 1969,
en 1971 j’ai lu un texte dans lequel, plus tard j’ai reconnu une partie des idées de Christian Tirefort.
Mes parents m’ont appris à dire s’il vous plait et merci,
les maîtresses m’ont appris à compter, à dire bonjour Madame, bonjour Monsieur, mais je ne sais toujours pas par cœur mon alphabet,
l’instruction républicaine de Genève m’enseigna à expliquer mes OUI et surtout à justifier mes NON.
Avec mes maîtres d’apprentissages, j’expérimentai la sobre typographie helvétique,
avec les ouvriers je comprenais la bienfacture du travail pour en être fier,
avec une majorité de patrons ou d’employeurs je mesurais plusieurs types de respects.
C’est en devenir que j’ai lu Boris Vian, Tourgeniev, Daniel Guérin.
Mais la première phrase du plus ancien tract de mes archives, daté du 11 octobre 1971 et produit par le Centre de liaison politique abrégé CLP, dit « la bourgeoisie veut mettre son Ordre dans les esprits comme dans la rue ! »
Le titre du deuxième tract est « Victoire pour le Vietnam, tous à Zurich le 6 novembre ». La Ligue marxiste révolutionnaire sur 1 page et demie argumente en faveur de l’auto-détermination des peuples d’Indochine, puis sur 2 pages et demie critique les positions du CLP.
Lorsque j’ai écouté mes collègues de travail, ils parlaient de la grève chez Nagel qui dura trois mois en 1973, j’ai perçu toute leur sympathie pour Christian Tirefort qui l’avait insufflée. Et je le rencontrais dans une séance organisée pour les apprentis : c’était beaucoup plus intéressant que le Cercle de la Taupe.
Je participais au Groupe de base de l’imprimerie afin de préparer le renouvellement du contrat collectif de 1977. Mes initiatives prises pendant la grève furent appréciées parce que Christian m’avait amené à pouvoir choisir les plus opportunes. Cette expérience me permit d’acquérir les fonctionnements de la démocratie ouvrière, la rigueur de l’organisation et la dignité de la discipline.
Naturellement, je fus à côté de lui lorsqu’il postula à la présidence de la section genevoise de la Fédération des typographes : il nous avait déjà expliqué la tornade technologique qui allait emporter nos métiers vieux de 500 ans, et qu’il serait possible de limiter les dégâts.
En compagnie de Christian dans la ville ou les bistrots, j’ai toujours constaté qu’après 5 à 10 minutes que nous étions sédentaires, tous les chiens à vue venaient se frotter à ses genoux jusqu’à ce qu’il leur manifeste qu’il les avait bien vus. Il trouvait cela normal, et moi étrange.
J’ai fait connaissance d’Eric Decarro et tous les trois, pendant une année tous les dimanches après-midi, nous avons entrepris notamment la critique des thèses de Drapeau Rouge – une plate-forme maoïste. Nous prétendions alors que le clown est aussi productif que le mécanicien puisque nous avons besoin de rire.
Avec Eric l’analytique et Christian le chercheur théorique, j’ai acquis des convictions qui aiguisèrent mon audace dans l’exercice de mes responsabilités syndicales.
Ainsi je ne doutais plus de nos aptitudes à traiter d’égal à égal avec les Directeurs de plusieurs centaines d’ouvriers, qui étaient devenus à juste titre toujours plus exigeants sur leurs conditions de travail.
Trois fois on essaya de me licencier en vain. En 1981 le Tribunal arbitral trouva le prétexte insuffisant, en 1983 la grève contre mon licenciement dura trois jours et deux nuits avec occupation. En 1990,
parce que j’avais compris que Publicitas devenu majoritaire dans le Conseil d’administration voulait se débarrasser de l’imprimerie pour ne conserver de l’entreprise que la partie réalisant le journal,
ce fut plus dur : 30 jours et 29 nuits avec in fine un Conseil d’Etat qui siégea in corpore pendant 12 heures.
A chaque fois Christian et Eric furent présents, pour parer les coups et en donner ; sur le terrain syndical ils vérifiaient nos hypothèses antérieures afin de mieux développer leur capacité politique.
Les crises économiques se succédant, Eric fut appelé a présider l’Union des syndicats de Genève, Christian devint président national du Syndicat du livre et du papier, et moi je remplaçais à temps partiel André Baudois au secrétariat de l’USCG en 1991, elle comptait 28 sections. Partout des forces vives remplaçaient les anciennes. A Genève bien des syndicalistes considérèrent que leurs capacités à intervenir sur des problématiques transversales, comme le logement, l’aménagement du territoire ou encore l’immigration nécessitaient une unité plus large ; ils modifièrent les statuts de la Communauté genevoise d’action syndicale en 1995, elle devint une faîtière regroupant les 34 organisations syndicales du canton, structure restant sans modèle équivalent en Suisse.
De ce point de vue, au niveau national la tâche fut plus difficile. Après plusieurs années, Christian se disait désabusé des instances centrales de l’Union syndicale suisse. Je m’y suis impliqué également sans grand succès. Comme certains, faisions référence au bien commun, mais les chefferies ne comprenaient pas.
Ainsi pendant 20 ans nous avons essayé de boucher les trous, et lorsque Christian prit sa retraite il rédigea le « Manifeste pour un nouveau contrat social ». Après en avoir réalisé la mise en page, j’ai relu ce texte non seulement comme un professionnel, mais le camarade de pensées et d’actions. Indéniablement, Christian avait localisé nos entraves à changer le monde et catégorisé les obstacles politiques : il esquissait une nouvelle philosophie qui, comme les précédentes partant de l’existant, nous donne des raisons de vouloir encore le transformer.
Je l’en remercie ici solennellement.