Critiquer la société capitaliste, c’est bien, réclamer un autre monde possible, c’est légitime, mais tout cela restera incantatoire si nous ne disons pas ce que cet autre monde sera.
Site créé par Christian TIREFORT et Eric DECARRO pour publier leurs analyses, il accueille également celles de la branche suisse du réseau salariat. Le premier en fut le président jusqu’à son décès survenu le 14 décembre 2022.
Eric Decarro et Christian Tirefort
Genève, 24.2.2017
On a déjà beaucoup écrit sur Donald Trump (sexiste, raciste, xénophobe) et son élection à la présidence des Etats-Unis.
Ce milliardaire prétend parler au nom des couches populaires et se présente comme le grand défenseur des travailleurs américains. Cela n’a pas empêché un haut lieu de la finance mondiale comme Wall Street de réagir très positivement à son élection et Donald Trump d’attribuer des postes stratégiques de la finance et du Trésor à des personnages ayant travaillé dans de grandes banques US, en particulier Goldman Sachs.
La bourse est euphorique : le Down Jones, l’indice de référence américain, a progressé de 6 % depuis l’élection de Trump et a franchi, pour la première fois de son histoire, les 20.000 points.
Dans l’industrie et le commerce, les responsables attendent une baisse massive des impôts sur les entreprises, on parle de passer de 38 à 16 %, ce qui conduirait à une concurrence fiscale encore accrue au niveau mondial. Les mêmes milieux attendent aussi l’ouverture de grands travaux d’infrastructures qui sont dans un état déplorable. Le secteur militaro-industriel serait également un grand bénéficiaire du pouvoir Trump puisque ce dernier a déjà annoncé l’augmentation des dépenses d’armement.
Les assurances privées, quant à elles, se frottent les mains dans l’attente d’un démantèlement de l’Obama Care.
De plus Trump a promis une dérégulation financière accentuée qui pourrait précipiter le monde entier dans une nouvelle crise financière. Il vient d’ailleurs de nommer le spéculateur milliardaire Carl I Cahn conseiller spécial pour cette dérégulation ainsi que l’économiste Peter Navaro, très critique sur les accords de libre-échange signés par les Etats-Unis. C’est aussi un défi envers la Chine que lance Trump. Elle est accusée d’avoir désindustrialisé les Etats-Unis à coups de subventions aux exportations et de manipulations à la baisse de sa monnaie.
Enfin, dans le domaine « sociétal », le nouveau président US doit annoncer tout prochainement le nom du neuvième juge de la Cour Suprême américaine. Ce poste est resté vacant depuis un an car le Congrès à majorité républicaine a bloqué la nomination décidée par Barak Obama. L’enjeu est important parce que la Cour est actuellement composée de 4 juges dits « progressistes » et de 4 juges dits « conservateurs ». Trump et son vice-président Mark Pence, qui milite dans les rangs des « pro life », veulent nommer un juge anti-avortement dans le but de revenir sur la loi autorisant l’avortement votée en 1973, mais aussi de graver dans le marbre le deuxième amendement de la Constitution garantissant le droit de posséder une arme.
Trump a désigné pour ce poste Neil Gorsuch, juge conservateur connu pour ses positions anti-avortement. Il devra cependant être confirmé par un vote du Senat, avec au moins 60 voix sur 100 ce qui suppose que 8 sénateur démocrates approuvent cette nomination ce qui est loin d’être assuré. Les républicains, majoritaires au Senat ne disposent en effet que de 52 sièges de sénateurs.
Concentrons-nous tout d’abord sur la rupture en matière de commerce international annoncée par Trump.
Il a notamment fait connaître une notification d’intention valable dès sa prise de pouvoir le 20 janvier qui annonce le retrait des Etats-Unis du traité commercial transpacifique négocié par son prédécesseur avec 11 pays d’Asie et dela région, dont le Japon, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, etc.
Il prend le contrepied de la stratégie d’Obama qui voulait utiliser le commerce pour consolider l’hégémonie états-unienne et isoler la Chine en Asie de l’Est.
TAFTA, le traité transatlantique actuellement en négociation entre les Etats-Unis, l’Union Européenne et un certain nombre d’autres pays, est également remis en question. Alors qu’une séance conclusive de négociation était prévue début décembre à Genève, TISA, l’accord sur les services, est aujourd’hui gelé sous la pression des Etats-Unis.
Trump va encore plus loin, il veut renégocier l’ALENA, un accord déjà en vigueur depuis 1994 entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique. Il considère que ces accords ont été des désastres pour les emplois, pour la richesse des Etats-Unis, donc pour les travailleurs américains.
Si ces positionnements devaient se confirmer, Trump briserait l’ordre mondial libéral qui régit le commerce international depuis des décennies au profit d’accords bilatéraux censés ramener les emplois aux Etats-Unis. America First ! Si c’était possible, le monde entier le saurait. Qui vivra, verra !
Ce serait un bouleversement politique. Jusqu’ici, les Etats-Unis ont essayé de débloquer le commerce mondial en court-circuitant l’unanimisme de l’OMC, laquelle est allée d’un échec à l’autre dans ses tentatives de conclure d’ambitieux accords (cf. notamment la résistance de l’Inde).
Pour contourner l’unanimisme de l’OMC les EU d’Obama ont dès lors cherché à réunir des pays de leur zone d’influence afin de finaliser des accords plurilatéraux de libre-échange aux niveaux transatlantique et trans-pacifique qui feraient ensuite pression sur les autres pays membres de l’OMC. Trump veut mettre fin à cette stratégie en instaurant une politique résolument protectionniste.
Trump tente de s’abstraire de tout engagement multilatéral qui lierait les mains des Etats-Unis et ne serait pas à leur avantage. Cela vaut non seulement pour le commerce mais s’étend bien au-delà : toutes les institutions internationales risquent d’être concernées, en particulier celles sises à Genève (Droits de l’homme, ONU, etc.). Trump a été jusqu’à déclarer que l’ONU qu’ils financent à hauteur de 28% n’était d’aucune utilité pour les Etats-Unis.
Trump est de plus favorable à un renforcement de l’arsenal nucléaire des Etats-Unis. Il remet ainsi en cause les accords visant à le réduire.
De même, les engagements pris par Obama, dans le cadre de la COP 21, pour protéger l’environnement et limiter le réchauffement climatique, ont aujourd’hui du plomb dans l’aile : Trump vient de nommer Scott Pruitt à la tête de l’agence pour la protection de l’environnement ; il s’agit d’un climato-sceptique notoire, par ailleurs membre du lobby du gaz et du pétrole !
De plus, Trump entend réorienter la diplomatie américaine en remettant en cause les principes et règles élaborés au terme de la seconde guerre mondiale. Il vient ainsi de nommer le président d’Exxon Mobil, Rex Tillerson, ministre des Affaires étrangères. Rappelons-le, ce dernier avait refusé les sanctions contre la Russie et entretenait des rapports étroits avec Poutine.
Trump veut-il se rapprocher de la Russie et introduire un coin entre la Russie et la Chine ? L’Histoire le dira. Il semble tout au moins vouloir engager une guerre commerciale avec la Chine qu’il n’hésite pas à provoquer en s’adressant directement à Taïwan. Cela remet en cause le principe « une seule Chine » entériné depuis 40 ans par les EU et l’ensemble de la communauté internationale. Il a finalement été contraint de revenir en arrière sur ce point.
Trump, dont les positions pro-Israël sont notoires, vient de nommer ambassadeur dans ce pays David Friedman, président d’une association soutenant les colonies israéliennes en Cisjordanie, à l’avant garde du combat pour « le grand Israël ». Les colons répètent que l’annexion d’une partie de la Cisjordanie occupée n’est qu’une question de temps. Pour eux, « grâce à Donald Trump, l’ONU, l’Unesco et autres organisations internationales contrôlées par les arabes ne pourront plus rien contre nous ». Le nouvel ambassadeur vient de plus d’envisager de déplacer le siège de l’ambassade US à Jérusalem, une provocation pour les Palestiniens. Il semble aussi remettre en cause le principe d’un Etat palestinien à côté d’Israël, un pas en direction de l’annexion par ce dernier d’une grande partie de la Cisjordanie.
Conséquent avec son nationalisme étroit, Trump semble aussi souhaiter que l’Union Européenne se disloque. Il fait un éloge enthousiaste du Brexit, il souhaite, voire il appelle d’autres pays à sortir de l’UE qu’il qualifie de « consortium bureaucratique » et « d’instrument de l’Allemagne ».
Trump menace tous azimuts : il remet en question les accords passés avec l’Iran et avec Cuba ; il n’hésite pas à subordonner les politiques de l’OTAN en Europe de l’Est au fait que les pays qui auraient besoin de protection augmentent leur contribution financière ; la Pologne, l’Ukraine et les pays baltes qui, à tort ou à raison, se sentent menacés par leur grand voisin russe ont de quoi s’inquiéter.
L’Union Européenne, quant à elle, songe à se doter d’une force de frappe, l’Allemagne et la France augmentent ainsi leurs budgets militaires dans cette perspective. S’il se vérifiait, le rapprochement des Etats-Unis avec la Russie constituerait un gros problème pour l’Union Européenne. Depuis la guerre civile en Ukraine, l’UE est engagée dans des sanctions économiques contre la Russie et ne peut accepter le référendum de ralliement à la Russie massivement approuvé par le peuple de Crimée.
Le programme de Trump n’est cependant pas exempt de contradictions. On voit mal comment les multinationales qui ont investi en Chine ou au Mexique, ou ailleurs dans des pays à bas salaires, accepteront de relocaliser leur production aux Etats-Unis. En effet, dans le cadre ultra concurrentiel actuel les entreprises industrielles ont un besoin impératif d’investir, par exemple, dans les maquiladoras sises à la frontière mexicaine où les travailleurs/euses surexploité-e-s sont payé-e-s 8 dollars la journée contre 8 dollars l’heure aux Etats-Unis.
L’Etat aura beau mettre la pression sur les entreprises, il aura beau leur proposer des avantages fiscaux, par exemple des diminutions d’impôts sur les profits réalisés, des mises à disposition gratuit de terrains, des commandes d’Etat, les entreprises voudront tout, c’est-à-dire conserver les avantages des délocalisations, la main-d’œuvre bon marché, et ceux offerts par Trump pour ne pas délocaliser.
Trump a déjà commencé à faire pression sur les entreprises qui veulent construire de nouvelles usines au Mexique tandis qu’elles en ferment aux EU. Il les menace d’imposer des taxes de 35% aux marchandises produites à l’étranger et importées aux USA. Ford a peut-être obtempéré, mais dans les sociétés financières l’important, ce ne sont pas les industries, c’est la finance. Lorsque les usines restées aux Etats-Unis seront en panne de commandes, elles cesseront leurs activités ou réduiront leurs investissements dans les activités industrielles ou commerciales et placeront leur argent dans le secteur financier.
Ces contradictions s’exprimeront à coup sûr au Congrès, non seulement parmi les Démocrates, mais aussi à l’intérieur du parti Républicain majoritaire dans les deux Chambres qui a toujours été « libre-échangiste ».
Il faut bien le voir, l’élargissement du commerce mondial est une nécessité pour le capitalisme s’il veut surmonter ses contradictions de système qui le mènent à la stagnation. Il est surtout vital pour le capital financier qui accroit sans fin sa masse alors que ses débouchés se réduisent relativement.
La mondialisation permet non seulement de surexploiter des masses de travailleurs/euses aux quatre coins de la planète et de vendre les marchandises sur les marchés où le pouvoir d’achat des populations est plus important, mais elle exige aussi d’être capable de dicter ses règles aux flux marchands mondiaux. Ce sont ces règles qui permettent à la fois de gonfler la masse de plus-value extraite de la surexploitation des travailleurs/euses et d’en contrôler la répartition à son avantage, qu’il s’agisse des multinationales ou des Etats/Nations. Lorsqu’il s’agit de répartir les profits ces deux entités entrent nécessairement en guerre l’une contre l’autre. C’est peut-être cela que Trump sous-estime, lui qui a érigé sa fortune dans l’immobilier aux Etats-Unis, donc dans un Etat-Nation bien précis.
Le problème du capitalisme, aujourd’hui, c’est que les résistances populaires à la mondialisation, spécialement dans des pays comme l’Inde, ont mis en échec les accords de libre-échange négociés dans le cadre de l’OMC. La réponse des impérialismes dominants, Etats-Unis en tête, a été le montage de négociations séparées avec les « partenaires » plus dociles. Trump semble balayer cette stratégie.
L’autre grand problème du capitalisme, c’est l’hypertrophie et la domination de la finance sur le capitalisme industriel et commercial qu’on appelle à tort l’économie réelle.
En fait, c’est seulement 5 % de l’ensemble des capitaux circulant dans le monde qui vont s’investir dans une production quelconque, alors que 95% des capitaux sont purement spéculatifs. Ces derniers circulent par-dessus les frontières du monde entier à la recherche d’opportunités de profits à rendement supérieur à la moyenne, qu’il s’agisse d’actions, d’obligations, de métaux précieux, de minerais, de pétrole, de produits financiers dérivés, de taux de change, etc., puis, au moindre signe de diminution de la rentabilité, ils se retirent avec leurs gains.
Contrairement à ce qu’on pense en général les profits issus des capitaux spéculatifs exigent d’être rentabilisés tout comme ceux investis dans la production de biens et services. C’est cette fonction qu’a le capital financier, il accroît sans fin la masse de capital à rentabiliser.
Cela exige un rendement croissant également sans fin, jusqu’au moment où le système explose, les profits deviennent alors insuffisants pour nourrir l’ensemble du capital. Cela durcit encore la course au profit et les contradictions au sein de la bourgeoisie.
Le capital ne s’arrête jamais, il vampirise tout, y compris ce qui jusqu’alors échappait encore à sa voracité : les transports publics, les systèmes de santé, l’enseignement, les transports, l’ensemble de l’activité sociale menée au travers des Etats ; plus encore, les Grecs, par exemple, ont dû vendre des parties de leur patrimoine territorial, certains ports et certaines îles.
L’accès de Trump à la présidence des EU est un signal fort qui montre au monde entier le creusement des contradictions au sein des bourgeoisies. On ne fait pas que s’approcher du point de rupture, il est déjà là. Le retour au credo nationaliste est lourd de menaces, il y a trop de victimes, pas assez de gagnants.
Tenter de remettre en cause le libre-échangisme actuel à tout prix et de développer un nouveau protectionnisme n’est non plus pas une réponse. Cela restreindrait encore les débouchés pour le capital au niveau mondial et précipiterait le système dans une crise économique qui lui ferait perdre les derniers restes de sa crédibilité. Ce serait un retour en arrière, avec le risque de guerres localisées comme en Irak ou en Libye, voire celui d’une guerre généralisée entre impérialismes rivaux comme celles déjà vécues au vingtième siècle, mais en pire.
Comme le dit le professeur québecois, Charles-Philippe David, président de l’Observatoire sur les Etats-Unis, le protectionnisme de Trump et en particulier ses attaques contre l’autre grande superpuissance, la Chine, accusée de tuer les emplois aux Etats-Unis, pourrait contribuer à accroitre les risques de guerre. Avec son nationalisme virulent, l’équipe de Trump au pouvoir, si elle se trouve dans une impasse, pourrait bien pratiquer la fuite en avant et nous précipiter dans un conflit mondial.
L’élection de Trump montre à la fois que les bourgeoisies nationales n’ont plus d’issue et que la caste détenant le pouvoir sur le plan supranational ne sera jamais en mesure de nous sortir du chaos dans lequel elle nous a enfoncé.
Il faudra bien que les peuples trouvent une porte de sortie.
A première vue, on devrait se réjouir de la dénonciation des accords de libre-échange, ils constituaient en effet le danger le plus immédiat car leur entrée en vigueur aurait livré l’essentiel des pouvoirs économiques et politiques aux multinationales, cela au détriment des nations, des droits sociaux des populations et de la démocratie.
« C’est le retour des nations » chante-t-on parfois. On déchantera cependant vite, le concept de Nation de Trump est loin du nôtre, il ne correspond absolument pas à nos idées tant sur l’internationalisme que sur ce que devrait être un commerce régulé et un contrôle des peuples sur les mouvements de capitaux. Ce dernier impliquerait en effet une égalité de pouvoir entre les peuples et non des accords bilatéraux dans lesquels les gagnants seront systématiquement les Etats-Unis.
Trump compte faire jouer la puissance nationale pour contraindre les autres pays à accepter les conditions états-uniennes. Cela vaut aussi pour les richesses naturelles, Trump n’a-t-il pas déclaré que les Etats-Unis devaient s’approprier le pétrole de l’Irak ! Il faut oser ! C’est en réalité ce but que cache l’augmentation des dépenses militaires.
Cela promet des relations commerciales brutales. Les provocations de Trump à l’égard de la Chine sont des signes inquiétants. Imposer systématiquement les lois du plus fort mènera à des coalitions de pays s’armant pour faire la guerre à d’autres coalitions courant après le même but. Personne ne voudra la guerre mais tout le monde la fera. A la place de relations politiquement régulées entre les peuples, des relations priorisant et respectant les droits sociaux, environnementaux, démocratiques, on aura l’imposition brutale des intérêts du plus fort, aujourd’hui les Etats-Unis d’Amérique, demain on ne sait qui, mais on sait contre qui : contre les peuples.
La concurrence capitaliste pour le profit ne disparaîtra pas avec Trump, au contraire, la guerre entre les multinationales sera doublée d’une guerre entre les Nations. Dans ce cadre, les risques de guerre et les contradictions inter-impérialistes augmenteront de manière exponentielle. A nous de dire non et de joindre la parole à l’acte.
On ne saurait omettre de mentionner les décrets signés par Trump dans les jours qui ont suivi son investiture. Tous visent à réaliser ses promesses de campagne. C’est une rupture ultraconservatrice, sexiste, xénophobe et raciste et l’expression d’un nationalisme agressif. Qu’on en juge :
Trump dit défendre les travailleurs américains. Qu’en est–il en réalité ?
Trump s’est entouré des PDG de 12 grandes entreprises américaines et a émis le souhait d’abroger près de 75% des réglementations fédérales afin de booster les initiatives du secteur privé.
Trump a nommé Secrétaire d’Etat au Travail Andrew Puzder, il s’agit d’un magnat du fast-food entre autre opposé au payement de congés maladie et à une hausse du salaire minimum. La chaîne de restauration précédemment dirigée par ce Puzder a été l’objet de plusieurs enquêtes pour violation du droit du travail. Les premières initiatives de Trump se prétendant défenseur des travailleurs américains ont jusqu’ici pratiquement toutes adressées aux responsables patronaux. « Ecouter les patrons pour mieux servir les travailleurs ! » Tel est le vrai programme du nouveau président.
Le fait que le Ministère du travail américain puisse être dirigé par un patron à la réputation antisociale provoque une mobilisation politique et syndicale inédite. Ses adversaires pensent qu’il est plutôt là pour détruire le Ministère du Travail que pour le diriger. Puzder est contre les réglementations sociales, contre l’augmentation du salaire minimum, contre tous les avantages sociaux décrits comme des entraves au développement de l’entreprise. La chaîne de restauration qu’il dirigeait jusqu’à présent, qui emploie 100.000 travailleurs-euses, a été traînée de nombreuses fois devant les tribunaux et les inspections du Ministère du travail ont débouché dans 60% des cas sur un constat de violation de la loi.
Aux dernières nouvelles, la candidature d’Andrew Puzder a été plombée par des révélations sur d’anciens épisodes de sa vie personnelle. Puzder a employé au noir une personne sans papiers, inacceptable pour un gouvernement qui a mis la lutte contre les sans-papiers comme une de ses priorités. Trump a désigné le 16 février Alexander Acosta comme ministre du travail. C’est le premier hispanique membre de ce gouvernement.
Suite au feu vert accordé à la construction d’oléoducs (rappelons qu’il remet en cause les engagements pris par Obama dans le cadre de la COP 21), des informations de presse font état du gel des financements accordés par l’Agence de protection de l’environnement (EPA). Cette institution sera confiée à Scott Pruitt, un climato-sceptique notoire. Lorsqu’il était procureur général de l’Oklahoma, il a poursuivi à 14 reprises l’Agence dont il doit prendre la tête ! A chaque fois, il contestait les décisions de l’EPA lors de ses contentieux avec des industriels.
Dans un mémo, la direction de la communication de l’EPA a promulgué des restrictions drastiques à son personnel, restrictions qui resteront valables « jusqu’à ce que des directives soient reçues de la nouvelle administration ». En attendant la missive ordonne : « aucun communiqué de presse ne sera publié vers l’extérieur … aucune publication ne sera publiée sur les réseaux sociaux … aucun nouveau contenu ne sera déposé sur un site web contrôlé par l’agence ».
Dans le même sens, un mémo interne du National Institute of Health précise que les employés de l’institution de recherche biomédicale ne sont jusqu’à nouvel ordre pas autorisés à répondre aux sollicitations des parlementaires.
Cela montre bien comment Trump conçoit la démocratie : il est élu, il a donc le droit de geler les crédits et de censurer l’ensemble des institutions qui ne lui plaisent pas. C’est en réalité la science et les scientifiques qui sont censurés.
Ces derniers iront-ils plus loin qu’une simple « marche pour la science ? » L’avenir nous le dira.
Le Congrès semble tétanisé face à cette succession de décisions imposées « à la hussarde » par Trump. Il ne fait aucun doute que ces politiques ultraréactionnaires annoncées tambour battant par le président de la principale puissance capitaliste risquent de faire école au niveau mondial.
Elles se heurteront à coup sûr à de fortes résistances comme l’ont déjà démontré l’énorme mobilisation des femmes au lendemain de l’investiture, la résistance des villes « sanctuaires » aux décisions concernant l’immigration, celle des scientifiques et défenseurs de l’environnement ou encore les blocages par les institutions judiciaires de son décret interdisant l’entrée aux Etats-Unis des ressortissants de sept pays à majorité musulmane. Les milliers d’activistes qui ont envahi les aéroports pour s’opposer à cette mesure ont fortement contribué à cette décision des juges.
Le rapport de force que Trump engage avec le Mexique va non seulement raviver le nationalisme au Mexique même, mais aussi souder les pays d’Amérique latine en solidarité avec le Mexique agressé. Le nouveau président se met aussi à dos les latinos aux Etats Unis, une population extrêmement vulnérable car souvent sans papiers, ainsi que la communauté afro-américaine effrayée par le racisme affiché par la nouvelle équipe au gouvernement.
Enfin, au fur et à mesure de leur examen par le Congrès, tous ces décrets ne manqueront pas de susciter de nombreuses contradictions au sein même des milieux dominants. Les recettes simplistes de Trump développeront aussi des effets boomerang négatifs.
Ces contradictions et mobilisations apparaissent déjà : Le nouveau président des Etats-Unis est engagé dans un bras de fer avec la presse et quasiment l’ensemble des médias. Son conseiller stratégique, Stephen Bannon, avait qualifié la presse de « parti d’opposition », niant ainsi son rôle de contre-pouvoir.
Trump a déjà dû en rabattre sur plusieurs points de son programme (retour sur le concept d’une Chine comme un seul pays, recul sur la remise en cause de l’accord avec l’Iran, marche arrière sur l’installation de l’ambassade US à Jérusalem, retour enfin à la conception de 2 Etats entre Israël et la Palestine).
Il a de plus été contraint de limoger son conseiller à la sécurité Michael Flynn, accusé d’avoir négocié avec des diplomates russes avant même son entrée en fonction.
Les entreprises de la Silicon Valley qui avaient fait profil bas jusqu’ici suite à l’élection ont pour la première fois pris position contre le nouveau président américain pour s’inquiéter d’un durcissement des règles en matière d’immigration et en particulier de l’interdiction d’entrée sur le territoire des Etats-Unis des ressortissants de sept pays à majorité musulmane. Tim Cooks, directeur de la firme à la pomme, a ainsi déclaré : « Apple ne pourrait pas exister sans l’immigration, encore moins prospérer et innover ». Mark Zuckerberg, le patron de FaceBook, a aussi clairement pris position lorsqu’il a affirmé : « les Etats-Unis sont une nation d’immigrants ». La réalité est en effet incontournable, une grande partie des employés de la Silicon Valley vient de l’étranger, notamment d’Inde et de Chine.
On peut de plus parier que les politiques protectionnistes prônées par le nouveau président US contribueront à créer de fortes contradictions au sein des classes dominantes au niveau mondial.
Ces mouvements sociaux portent certes sur des thématiques différentes mais ils sont appelés à se coaliser contre les politiques du nouveau gouvernement pour deux raisons :
Les décrets de Trump font partie d’un ensemble très cohérent du point de vue de leur contenu, qu’on peut qualifier de réactionnaire sur toute la ligne.
La méthode qui consiste à signer des décrets en rafale dès l’entrée en fonction est une démarche foncièrement autoritaire très dangereuse pour la démocratie.
Cette méthode présente incontestablement des similitudes avec les pratiques des régimes les plus autoritaires. Trump se met en scène avec ses décrets comme une personne qui peut décider toute seule, sans aucune discussion ni concertation, avec l’unique argument de l’autorité que lui donne son élection à la présidence des Etats-Unis.
Il se considère ainsi légitimé à imposer son programme sans en retrancher une ligne et se prépare à attaquer toute institution qui se mettrait en travers de son chemin, y compris si celle-ci se réfère au contenu de la Constitution.
On peut mentionner une autre raison qui explique cette démarche autoritaire : Trump s’imagine pouvoir gouverner les Etats-Unis comme une entreprise.
Il y a un deuxième trait commun entre Trump et les régimes autoritaires, c’est la mise en avant par ce type de leaders des émotions et de leur vie personnelle. Trump à sa manière incarne aussi cela avec sa communication frénétique sur Tweeter. Il est hyper-narcissique et colérique. Il ne supporte pas d’être contré, comme on l’a vu avec ses invectives contre les institutions judiciaires qui bloquent certains de ses décrets. Il a accusé les juges (et la justice) d’être « politisés » et les a traités de « soi-disant » magistrats pour tenter de délégitimer leur décision. Il ferraille aussi contre les médias qu’il accuse de manipulations systématiques.
Dans une interview à Gauche Hebdo deux chercheurs français ont bien souligné ces deux similitudes.
C’est pourquoi le mouvement social de résistance aux politiques de Trump et son équipe de milliardaires et d’ultraréactionnaires revêt aujourd’hui une grande importance aux Etats-Unis, y compris de la part des institutions qui s’opposent à certains décrets jugés anticonstitutionnels parce qu’ils ne respectent pas la séparation des pouvoirs politiques et juridiques.
De l’avis général, depuis le mouvement contre la guerre du Vietnam on n’avait pas vu un mouvement social d’une telle ampleur aux Etats-Unis. Cela crée une situation entièrement nouvelle aux USA, il faudra attentivement en suivre l’évolution, cela d’autant plus que les Etats-Unis apparaissent profondément divisés et que l’électorat de Trump semble applaudir l’action de leur président. Il est évident que l’importance d’un tel mouvement contre le président de la première puissance capitaliste du monde n’impactera pas les seuls Etats-Unis, mais touchera l’ensemble de la planète.
Il ne faut pas se bercer d’illusions : il n’y aura pas de retour en arrière vers les positions d’Hillary Clinton et d’Obama.
La radicalité qu’a représenté l’élection de Trump appelle une radicalité alternative avec pour but une rupture tant avec les politiques néo-libérales libre-échangistes qui privilégient le libre jeu des forces du marché qu’avec le protectionnisme capitaliste que veut imposer Trump.
Ce protectionnisme, dans le contexte de la concurrence féroce que se livreront non seulement les multinationales mais aussi les Etats-nation pour la répartition des profits, se traduira d’un côté par des cadeaux fiscaux aux entreprises et aux riches, de l’autre côté par des pressions renforcées sur les conditions de travail et les services publics. On le voit, Trump aime à se présenter comme défenseur des travailleurs/euses américains, mais il s’attaque d’ores et déjà aux réglementations élémentaires qui les protègent.
L’accession de Trump au pouvoir mène à des contradictions jusqu’à aujourd’hui ignorées :
Premièrement, elle bouleverse la séparation des pouvoirs économique et politique. Trump mélange ces deux pouvoirs pour les soumettre à un souverainisme gestionnaire. « Enfin ! » jubilent les nationalistes, les intérêts nationaux prendront le pouvoir contre les mondialistes, le politique contre l’économique et le primat du libre jeu des forces du marché.
Si au moins c’était si simple ! Cela ignore qu’il y a au moins trois formes de souverainisme :
Comment répondre ? Il faudra investir y compris l’espace inter Nations. Notre réponse devra articuler les niveaux national et global. Au niveau national il faudra tout faire pour que les Nations ressaisissent les domaines qui leur appartiennent et qu’elles comprennent que certains domaines dépassent leurs compétences. Au niveau international il faudra construire un internationalisme respectueux des Nations, en premier lieu un internationalisme qui prenne le contrôle des Multinationales, des flux financiers et des régulations fiscales. Seule un internationalisme conséquent peut proposer de telles réponses.
Si des personnages comme Trump peuvent se saisir du pouvoir de la première puissance militaire au monde, c’est que les forces capables de dire ce que devrait être une solidarité internationale sont aujourd’hui trop faibles. Il y a du pain sur la planche.