travail et salariat

Critiquer la société capitaliste, c’est bien, réclamer un autre monde possible, c’est légitime, mais tout cela restera incantatoire si nous ne disons pas ce que cet autre monde sera.

Site créé par Christian TIREFORT et Eric DECARRO pour publier leurs analyses, il accueille également celles de la branche suisse du réseau salariat. Le premier en fut le président jusqu’à son décès survenu le 14 décembre 2022.

Réforme III de l’imposition des entreprises

Cadeau exorbitant aux grandes entreprises Attaque massive contre les intérêts populaires

jeudi 26 mai 2016 par Eric Decarro

Intervention lors de l’assemblée publique du Mouvement vers la Révolution Citoyenne.

Les choix budgétaires : un enjeu éminemment politique !

Cette assemblée publique s’inscrit dans le cadre de la préparation de la manifestation unitaire qui se tiendra samedi 28 mai contre les politiques d’austérité du Conseil d’Etat et des Chambres fédérales. Elle se tient aussi avant les débats et les votations référendaires sur la « réforme III des entreprises », qui sont prévues, tant au niveau cantonal que fédéral, en janvier ou juin 2017.

Les questions budgétaires ne sont pas uniquement un enjeu syndical sectoriel entre l’Etat-patron et les salariés de la fonction publique.

C’est un enjeu éminemment politique, ce qui signifie que l’ensemble de la population est concerné, en particulier les milieux populaires, les plus défavorisés comme de larges secteurs de ce qu’on appelle « la classe moyenne ».

Tous sont visés par les politiques d’économies drastiques qui résulteront des cadeaux fiscaux aux grandes entreprises prévus dans le cadre de la « réforme III des entreprises », qu’il s’agisse de la baisse massive du taux d’imposition des profits au niveau cantonal ou des très généreuses possibilités de déductions fiscales sur le bénéfice imposable en discussion dans les Chambres fédérales.

Toutes et tous sont en effet concerné-e-s, qu’il s’agisse des chômeurs/euses, des personnes qui perçoivent l’aide sociale ou les prestations complémentaires, des retraité-e-s, veuves et orphelins, des salarié-e-s du privé et du public, des locataires, des élèves et de leurs parents, des apprenti-e-s, des étudiant-e-s, des personnes handicapées, des artistes, des femmes et de leurs associations, des œuvres d’entraide et des associations de coopération et d’aide au tiers-monde, etc.

Toutes et tous seront frappé-e-s, à travers la réduction des effectifs ou les atteintes aux conditions de travail des salarié-e-s de la fonction publique, les coupes dans les dépenses sociales, les dépenses pour la culture ou la protection de l’environnement, la dégradation voire la suppression de prestations de services publics aux usagers (en particulier dans la santé et l’éducation), ou encore, indirectement, à travers la réduction des subventions aux institutions publiques et associations d’intérêt général.

Puissant mouvement social contre les « mesures structurelles »

Il faut rappeler ici les mesures dites « structurelles » annoncées en septembre 2015 par le Conseil d’Etat, à savoir la réduction de 5 % des dépenses de personnel ainsi que des subventions aux institutions et associations dans les 3 ans à venir. Cela représente des coupes respectivement de 120 millions et 190 millions.

Pour mesurer la brutalité de ces mesures inédites, on peut comparer l’Etat de Genève et les institutions qu’il subventionne à un lourd paquebot auquel on intimerait soudain l’ordre de « faire marche arrière toute » !

A elle-seule, la réduction de 120 millions des dépenses pour le personnel équivaut à la suppression de 1200 postes de travail !

Et cela, au moment où la population du canton ne cesse de croître, où l’on annonce 2.500 élèves en plus ces prochaines années, où les personnes qui dépendent de l’aide sociale ont augmenté de 62 % en 5 ans, où il faudra répondre aux besoins qu’implique le vieillissement de la population.

D’une manière générale, les milieux populaires ne sont pas conscients de la menace. C’est la fonction publique qui a réagi à l’automne 2015 par un puissant mouvement social contre ces « mesures structurelles ».

Mais ce qui se profile maintenant à l’horizon, comme conséquence de « la réforme III des entreprises » est d’une tout autre ampleur. Cela risque de précipiter le canton dans un spirale d’appauvrissement et de précariser une frange croissante de la population. Or, aujourd’hui, pour les milieux populaires, « la réforme III des entreprises » est un concept totalement abstrait ; il ne signifie absolument rien pour la grande majorité d’entre eux.

« Réforme III des entreprises » : les grandes entreprises toucheront le jackpot !

La « réforme III de l’imposition des entreprises » répond à l’exigence exprimée par l’Union Européenne de supprimer les régimes fiscaux spéciaux accordés aux sociétés holdings et sociétés administratives qui viennent s’établir dans les différents cantons suisses. L’Union Européenne exige que ces sociétés établies en Suisse soient soumises au même traitement fiscal que les entreprises locales. Jusque là, rien à objecter.

Le problème, c’est qu’aujourd’hui les milieux dominants de ce pays instrumentalisent cette exigence de l’UE et s’en servent comme prétexte pour accorder un énorme cadeau fiscal à la minorité privilégiée de ce pays.

Cette « réforme III des entreprises » est aujourd’hui débattue tant au niveau des cantons, compétents pour fixer le taux d’imposition sur les profits (Genève prévoit ainsi d’aligner toutes les entreprises et sociétés sur le taux unique de 13 %), que fédéral (qui fixe le cadre de la réforme et les possibilités de déductions fiscales pour les entreprises).

Un immense cadeau se prépare au profit des franges les plus puissantes de la classe dominante. C’est ainsi que la réduction de 24% à 13 % du taux d’imposition cantonal sur les profits des entreprises locales priverait le canton de 700 millions à 1 milliard de recettes annuelles et la Ville de Genève de 60 à 90 millions. Les autres communes seraient également touchées.

Cette mesure profiterait uniquement aux grandes entreprises : en effet, sur les quelque 30.000 entreprises du canton, 18.000 soit 60 % ne paient pas un sou d’impôt sur le bénéfice et 6.000 autres ne paient qu’entre 1 et 5.000 frs d’impôt sur leur bénéfice. Autant dire que 80 % des entreprises, pour l’essentiel les fameuses petites et moyennes entreprises (PME), ne verraient quasiment pas la couleur de cette réforme.

Ce sont principalement les 159 plus grandes entreprises, celles qui réalisent des dizaines, voire des centaines de millions de profits, qui empocheraient le pactole, puisqu’à elles-seules, elles payaient en 2013 au total 684 millions d’impôt sur le bénéfice, soit deux tiers du produit total de cet impôt cantonal.

Les multinationales, quant à elles, devraient théoriquement payer un peu plus d’impôts qu’aujourd’hui, quoiqu’elles disposent de moyens pour transférer leur profits dans des pays encore plus « accueillants » en matière fiscale. Il faudra aussi voir dans quelle mesure elles pourront combiner ce taux de 13 % avec les possibilités de déductions fiscales que les Chambres fédérales sont en train de concocter. Il ne faut pas oublier non plus les arrangements spéciaux que ces entreprises, conseillées par des fiscalistes aux compétences très « pointues », négocient fréquemment avec les autorités cantonales.

Sortir du schéma « pour ou contre les fonctionnaires »

Il est donc très important dans ce mouvement contre l’austérité de conscientiser les milieux populaires sur les dangers de ces politiques et de sortir du schéma « pour ou contre les fonctionnaires » qui divise les milieux populaires pour des raisons sur lesquelles je reviendrai et qui ont trait à la fonction de l’Etat.

Ces politiques des autorités qui consistent à infliger une cure d’austérité sans fin à la majorité de la population en même temps qu’on accorde des cadeaux fiscaux à répétition au profit d’une infime minorité d’ultra-riches et de grandes entreprises sont absolument insupportables !

Rappelons que depuis le début des années 2000, ce ne sont pas moins de 13 mesures d’allègements fiscaux qui ont été accordées à ces milieux, privant le canton de plus d’un milliard de recettes annuelles.

Le Conseil d’Etat tente de désamorcer les oppositions…

Aujourd’hui, le Conseil d’Etat propose d’une part une « Table ronde » avec les partis, les syndicats et le patronat pour débattre de cette réforme III des entreprises. Il tente ainsi d’obtenir un « consensus » sur cette réforme au sein des partis gouvernementaux et des « partenaires sociaux », moyennant quelques contreparties financées par le patronat, qui demeureront évidemment mineures.

Il propose d’autre part au comité unitaire de la fonction publique de remettre les compteurs à zéro, c’est-à-dire de suspendre les 4 mesures structurelles qui avaient mis le feu aux poudres en automne 2015 (parmi lesquelles le passage de 40 à 42 heures de travail par semaine, les licenciements facilités, le non-remplacement des départs), dans le but d’ouvrir des négociations sur le budget 2017, avec l’objectif de neutraliser la fonction publique avant les votations sur la réforme III des entreprises, voire même de parvenir à un accord avec elle.

Le Conseil d’Etat tire ainsi la leçon de ses erreurs de l’automne 2015 avec ses annonces unilatérales de « mesures structurelles » brutales dans les 3 ans à venir. Il tire aussi la leçon de la manière dont le canton de Vaud a procédé pour faire passer en votation, avec une majorité écrasante, la réforme III des entreprises basée sur un taux unique d’impôt sur les bénéfices de 13,8 %, réduisant ainsi massivement le taux d’imposition des entreprises locales auparavant de 22,8 %.

Mais son cap reste le même : refus de toute augmentation des impôts sur les riches et politiques d’économies pour faire face à la brutale réduction des rentrées fiscales induite par cette réforme III des entreprises.

Le Conseil d’Etat reste ainsi intransigeant sur le taux d’imposition de 13 %, mais se dit prêt à discuter de contreparties.

…Et de diviser le front syndical

Le gouvernement manœuvre de toute évidence pour diviser les partis de gauche dans le cadre de cette « Table ronde », mais aussi le front syndical dans le cadre de la négociation avec la fonction publique du budget 2017. Il s’agit pour lui d’embarquer les uns et les autres dans un cycle de négociation visant à faire endosser sa politique par ces milieux. Il convient de noter que dans le contexte actuel, les représentants de la gauche au sein du Conseil d’Etat agissent clairement comme caution des politiques de droite. Ils n’ont en effet aucune marge de manœuvre.

Le gouvernement redoute par-dessus tout une répétition des mouvements de l’automne 2015 qui pourrait mettre en danger l’acceptation de la réforme III des entreprises dans les urnes.

Plusieurs membres influents des Verts et du parti socialiste ont d’ores et déjà lancé un appel au « consensus » et indiqué leur disponibilité à négocier un accord, en particulier avec le PLR, le principal parti qui représente le patronat, les banquiers et les milieux immobiliers de ce canton. Selon ces responsables des Verts et du PS, il faut rechercher une solution entre les partis et le Conseil d’Etat « pour éviter le pire ».

Mais c’est un marché de dupes, car en échange de contreparties totalement secondaires, il entérinerait l’essentiel, à savoir un cadeau princier aux grandes entreprises de ce canton et une brutale réduction des recettes publiques de l’Etat, avec des mesures d’austérité drastiques à la clef.

Accepter un tel deal, c’est à la fois se soumettre aux politiques d’austérité du Conseil d’Etat, mais aussi entériner le modèle de société qui sous-tend cette réforme.

Peut-on encore faire confiance à ce Conseil d’Etat ?

Il ne faudrait quand même pas oublier que le Conseil d’Etat a précipité le canton dans une crise institutionnelle en renonçant à présenter une nouvelle mouture de budget 2016, après le refus quasi-unanime de la première version par le Grand Conseil. Les partis l’ont évidemment refusé pour des raisons opposées, selon qu’ils appartenaient en décembre à la coalition de droite ou de gauche.

C’est la première fois que Genève n’a pas de budget voté et que le canton est soumis au régime des douzièmes provisionnels basé sur les comptes de l’année précédente pendant toute une année. Le Conseil d’Etat garde en même temps les mains libres pour imposer une diminution des dépenses par rapport au budget 2015, ce qu’il s’est empressé de faire en rabotant les subventions aux institutions et aux associations.

Il ne faudrait pas oublier non plus qu’en renonçant à tout budget pour 2016, le gouvernement a délibérément violé l’accord qu’il a signé avec la fonction publique en décembre 2015.

Il ne faudrait pas oublier enfin que ce Conseil d’Etat est aiguillonné par les positions de plus en plus agressives et brutales de la droite parlementaire qui n’hésite d’ailleurs pas à déborder ses propres représentants au Conseil d’Etat (PDC et PLR) pourtant majoritaires au sein de l’exécutif.

C’est ainsi que l’un des parlementaires du PLR, le banquier Edouard Cuendet n’a pas hésité à parler lors d’une émission Forum de la radio suisse-romande d’abord d’un « Etat gourmand », puis d’un « Etat glouton », et ceci au moment même où l’Etat s’apprête à faire un cadeau annuel de 700 millions à un milliard aux grandes entreprises, au moment aussi où de toutes parts dans la fonction publique, des voix s’élèvent pour dénoncer la dégradation très rapide des conditions de travail et un manque de moyens de plus en plus flagrant pour assurer les missions de services publics qui leur sont assignées.

Même l’entretien des bâtiments scolaires n’est plus assuré ; par contre les travaux d’extension de l’aéroport ou la construction d’une nouvelle prison qui coûtent à chaque fois des centaines de millions, sont allègrement votés par la majorité du Grand Conseil.

Genève au bord de la ruine ?

Selon ces milieux de la droite parlementaire, « le canton vivrait au-dessus de ses moyens » ; pire encore, il vivrait « aux crochets du secteur privé » considéré comme le seul producteur de richesses parce qu’il génère du profit. Raison pour laquelle ces milieux s’opposent de manière inflexible à tout augmentation des impôts des ultra-riches et des grandes entreprises.

Selon eux, il faut au contraire impérativement couper dans les dépenses publiques, quelles qu’en soient les conséquences pour la population, faute de quoi le canton va s’enfoncer dans la dette. Ils n’hésitent donc pas à agiter l’épouvantail de la dette, alors que si l’on examine la dette nette, et non la dette brute, le patrimoine du canton excède largement son endettement.

Les milieux dominants ne cessent de nous seriner : « Genève n’a plus d’argent ! » ; « il faut s’adapter à cette réalité ! ». Face à cette propagande, il faut rappeler quelques faits :

- Le canton est l’une des régions les plus riches du monde.
- Il abrite 26.000 millionnaires, dont de nombreux multimillionnaires, et un tiers des milliardaires français réside sur son territoire.
- En 2015, les entreprises genevoises ont réalisé 30 milliards de profits, mais n’ont payé qu’un milliard et demi d’impôts (soit un taux global effectif de 5 %).
- Selon un cabinet d’affaires français réputé, la place financière genevoise gérerait 30% de la fortune mondiale.
- On évalue entre 500 millions et 650 millions de francs la fraude fiscale, un chiffre probablement sous-estimé.
- En effet, on a pu voir à quel point les banques de ce canton et les avocats d’affaires de la place sont « mouillés » dans l’affaire des « Panama Papers », puisque 17% des sociétés-écrans ont été créées à Genève.
- Ces sociétés servent de toute évidence à l’évasion et la fraude fiscale, quand ce n’est pas au blanchiment d’argent sale, voire au financement d’activités criminelles (cf. la filiale genevoise d’HSBC).

Le gouvernement du canton renforce un modèle prédateur

De tout cela, le Conseil d’Etat n’en a cure. Pour lui, il faut absolument créer les conditions-cadre pour attirer dans notre canton encore plus d’ultra-riches, de multinationales, de sociétés de négoce, de banques, de hedge funds et autres fonds d’investissement.

Le gouvernement alimente ainsi la course insensée à la concurrence fiscale entre les cantons, voire entre les pays, au nom du « renforcement de notre compétitivité ».

C’est pourquoi il s’oppose bec et ongles à toute augmentation d’impôt sur les classes privilégiées, mais préconise au contraire de diminuer l’impôt sur la fortune, tout en élargissant la base de la pyramide fiscale en imposant les personnes aujourd’hui non taxées pour cause de revenus insuffisants.

En favorisant la finance et les multinationales à Genève, le Conseil d’Etat entend renforcer encore le modèle sur lequel le canton fonctionne aujourd’hui.

Il faut savoir que Genève est l’une des plaques tournantes de la prédation mondiale, en particulier aux dépens des populations les plus pauvres du globe qui sont pillées et spoliées, dont le travail est surexploité et l’environnement ravagé par les activités d’extraction. Des populations sont expulsées de leurs terres, lesquelles sont accaparées par des fonds d’investissement, des compagnies minières, voire des Etats.

Genève, Zoug et le Tessin sont en effet des centres mondiaux de négoce des matières premières, qu’il s’agisse des céréales, du pétrole, des minerais, en particulier l’or, des diamants.
On estime ainsi qu’un tiers du commerce mondial du pétrole se négocie à Genève.

Et ces compagnies se portent fort bien malgré l’effondrement des cours du pétrole, merci pour elles !

Elles ont réalisé des résultats records en 2015 pour la bonne et simple raison que ce qui les intéresse, c’est la marge et non le cours du brut.

En d’autres termes, 5 $ sur 35 $ équivalent à 5 $ sur 75 $, à cette différence près qu’une cargaison à 35 $ est plus facile à financer auprès des banques du canton qu’une cargaison à 75 $. Ces compagnies profitent par ailleurs de la volatilité des cours et stockent le pétrole pour pouvoir vendre au meilleur moment. Elles prélèvent de plus une marge supplémentaire lorsqu’elles vendent à terme, par exemple à 6 mois.
Gunvor a ainsi réalisé 1,25 milliard de profit en 2015.
Trafigura a vu ses profits tirés du pétrole et des produits dérivés bondir de 50 % l’an dernier.

Vitol, enfin, annonce sa meilleure année depuis 2011.

La place financière genevoise impliquée dans maints scandales de corruption

Avec ces politiques du gouvernement, la place financière genevoise continuera d’être un refuge pour l’argent des dictateurs de tout poil et pour la création de structures opaques permettant de frauder le fisc. Elle continuera aussi d’être un centre névralgique pour abriter l’argent issu de la corruption dans le monde entier.

La place financière genevoise est ainsi « mouillée » dans la plupart des scandales liés à la corruption dans le monde :

Citons le scandale de Petrobras et Odebrecht au Brésil. L’argent a atterri dans les banques genevoises : Julius Bär, Safra-Sarasin, Pictet, Lombard-Odier, Cramer, la filiale genevoise de HSBC.

Citons aussi le scandale lié au Parti Populaire en Espagne.

Le scandale qui ébranle aujourd’hui la Malaisie.

Le scandale des fonds du dictateur nigérien Abacha : plus de 700 millions ont été localisés dans les coffres de 19 banques helvétiques.

Les révélations d’Hervé Falciani sur HSBC Genève.

Citons enfin, les révélations toutes récentes sur l’affaire de corruption mettant en cause le président du Congo-Brazzaville, Denis Sassou-Nguesso. Dans cette affaire, les noms des sociétés de trading Augusta Energy, Mercuria et Ocean Shipbroker Ltd qui opèrent depuis Genève sont citées, en plus de Vitol. Dans le cadre de l’enquête, des cartes de visite de banquiers suisses ont été trouvées. Selon William Bourdon, avocat parisien de Transparency Intenational, « la preuve est apportée aujourd’hui que sans le concours, l’engineering d’un certain nombre d’acteurs en Suisse, une partie des détournements du clan Sassou n’auraient pas été possibles » (Le Temps du 14.5.2016).

On le voit, toutes les enquêtes sur ces affaires conduisent à Genève.

La théorie du « ruissellement »

Pour justifier ce modèle, les milieux dominants nous servent la théorie du « ruissellement » tant il est vrai qu’il leur faut faire passer leurs politiques comme répondant à l’intérêt général. Selon cette théorie du ruissellement, les pauvres obtiendraient des miettes de cette concentration de richesses, raison pour laquelle il faudrait absolument préserver cette poule aux œufs d’or qui profiterait soit-disant à tous.

C’est un leurre, ce modèle est non seulement dommageable pour la population qui subira les effets des politiques d’austérité et de l’augmentation pharamineuse des loyers, conséquences des cadeaux princiers en faveur d’une minorité de privilégiés, mais c’est de plus un modèle « corrupteur » qui fait de nous des complices de ces multinationales prédatrices et des agissements plus que douteux de la finance.

Des politiques répondant à une logique de système

Ces politiques du Conseil d’Etat ne sont pas isolées, ni accidentelles. Ces politiques sont dictées par la systémique économique et politique en place, elles sont dévastatrices.

Partout, les milieux dominants qui profitent déjà largement de ce système s’attaquent à la fonction régulatrice et redistributrice de l’Etat au nom de « la liberté du marché » et du « sacro-saint profit ».

Partout, ils agressent les droits démocratiques et les droits syndicaux et tendent à privatiser nos biens communs pour ouvrir de nouvelles zones de profit pour le capital privé.

Partout dans le cadre de ce capitalisme financiarisé, priorité est donnée à l’augmentation des dividendes pour les actionnaires au détriment des emplois et des conditions de travail.

Ainsi, 40 milliards de francs ont été distribués aux actionnaires au titre de dividendes par les 25 principaux groupes en Suisse l’an dernier, tandis que 304 milliards d’euros ont été versés aux actionnaires par les sociétés dans les pays européens. Deux records !

Les multinationales, « dopées » par la mondialisation

Après l’effondrement des pays dits « socialistes » entre 1989 et 1991, le capitalisme règne désormais sur toute la planète. Au point que que certains ont pu conclure à la fin de l’histoire et au triomphe définitif de la « démocratie libérale » dont on verra plus loin ce qu’il faut en penser.

Dans ce contexte, les multinationales se sont partout étendues, concentrées et renforcées. Elles sont devenues hyperpuissantes, d’autant plus que par-delà la concurrence acharnée qu’elles se livrent entre elles pour la captation du profit, elles se sont coalisées dans des organisations supranationales, continentales voire mondiales, pour exiger la suppression de toute entrave au commerce international dans le cadre de traités abusivement intitulés « de libre-échange », pour s’opposer à tout renforcement des droits des salarié-e-s et à toute norme environnementale portant atteinte à leurs profits actuels et futurs.

Elles suppriment sans problème des milliers d’emplois pour augmenter leur rentabilité ce qui a généralement pour effet de faire monter le cours de leurs actions. Elles délocalisent sans états d’âme vers les pays aux salaires les plus bas. Pour les dirigeants de ces multinationales, les salariés sont de purs pions, de purs numéros, ils n’ont aucune réalité en tant qu’êtres humains. Ils peuvent se faire jeter du jour au lendemain. Face à ces organisations supranationales, voire face aux fonds d’investissement qui les contrôlent, les syndicats en tant que contrepouvoirs sont fortement affaiblis.

Dans tous les pays, ces multinationales éliminent les petites et moyennes entreprises ou se les subordonnent dans le cadre de contrats de sous-traitance léonins.

Les gouvernements sacrifient les droits démocratiques des citoyen-e-s

Les gouvernements eux-mêmes se soumettent aux intérêts de ces multinationales et prônent l’acceptation de tels traités de libre-échange qui vont encore renforcer le pouvoir de ces grands groupes capitalistes au détriment des populations ; ils tendent ainsi à vider le politique de sa substance ; ils se dépossèdent eux-mêmes ainsi que leurs citoyennes et citoyens de leurs prérogatives démocratiques.

Plus puissantes que la plupart des Etats, ces multinationales n’hésitent plus à attaquer les gouvernements en les traînant devant des tribunaux commerciaux privés lorsque ces gouvernements s’avisent de prendre des décisions de nature sociale ou environnementale portant atteinte à leurs profits actuels et futurs.

On en a deux exemples récents qui touchent précisément des multinationales ayant leur siège en Suisse :

Il s’agit tout d’abord de Glencore qui attaque le gouvernement Colombien, car la Colombie a cassé un contrat d’extraction qui portait atteinte à l’environnement. On se rappelle par ailleurs qu’en Colombie, Nestlé fait depuis longtemps la sourde oreille face aux plaintes des syndicats dont les leaders employés dans des usines de la multinationale sont purement et simplement assassinés.

Il s’agit ensuite d’Alpiq qui attaque la Roumanie en raison de la faillite d’une entreprise qui prétérite ses affaires.

Une finance hors de tout contrôle qui cannibalise l’économie réelle

Il faut dire encore un mot de la finance qui s’est autonomisée et qui est devenue une sphère aujourd’hui totalement incontrôlable.

On est en effet passé durant ces 30 dernières années d’un capitalisme à dominante industrielle à un capitalisme à dominante financière. Désormais, une masse énorme de capitaux hypermobiles se déplace en quête de points de chute rémunérateurs, qu’ils sont prêts à quitter aussi sec en cas de problèmes ou d’opportunités plus rémunératrices ailleurs.

Ces capitaux cannibalisent l’économie réelle. Ils ne produisent rien mais exigent d’être nourris en profits tout autant que le capital productif de bien et services. Leur masse est totalement disproportionnée par rapport au capital investi dans la production. Ils pèsent donc lourdement sur l’économie réelle qu’ils parasitent. Cette situation oblige partout le capital à pressurer toujours plus le travail pour nourrir l’ensemble du système en profits. Cette domination de la finance, non seulement génère un chômage massif, mais remet aussi en cause les rapports de travail tels qu’ils ont été façonnés dans l’immédiat après-guerre.

Sur les marchés financiers complètement dérégulés, bien malins sont ceux qui parviennent à distinguer capitaux investis dans l’économie réelle et capitaux spéculatifs, voire même capitaux investis dans des activités légales et capitaux finançant des activités criminelles. Les deux sont inextricablement mêlés.

Les multinationales elles-mêmes disposent d’énormes quantités de liquidités qu’elles n’investissent pas nécessairement dans la production de biens et services, vu la faiblesse de la demande solvable des populations qui résulte de cette situation. Elles l’utilisent la plupart du temps pour racheter leurs actions afin d’en faire monter le cours pour leurs actionnaires. Ou alors, elles placent leurs liquidités sur les marchés financiers. Elles réalisent d’ailleurs une partie importante de leurs profits sur ces marchés.

Ces multinationales sont toujours à la recherche des coûts salariaux les plus bas et dynamitent les protections des salariés élaborées durant « les 30 glorieuses ».

Deux conceptions antagoniques de la richesse

Il faut dire que le capitalisme voit le travail uniquement comme un coût qui obère son profit alors que le travail est fondamentalement source de richesses.

La conception de la richesse du capitalisme, c’est d’accumuler, et c’est cette accumulation forcenée, cette priorité de plus en plus absolue accordée aux profits, y compris ceux issus de la spéculation, qui est à l’origine des déséquilibres économiques et financiers de plus en plus flagrants dans le monde.

C’est aussi cette conception de la richesse qui est à l’origine de l’incapacité croissante du capitalisme d’intégrer la force de travail des populations dans l’économie, en particulier celle des jeunes, lesquels sont de plus en plus privés de perspectives d’avenir.

Nous sommes face à un développement de plus en plus chaotique du capital qui expose les populations du monde entier à de grands dangers.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’un des secteurs économiques les plus rentables est celui de la production d’armes dans le contexte des guerres qui embrasent désormais l’ensemble du Moyen-Orient et des tensions qui s’accentuent tant en Europe que dans la zone du Pacifique. On notera d’ailleurs que la plupart des nouvelles technologies ont été générées dans l’industrie d’armement qui a mis au point des techniques de destruction et de mort de plus en plus puissantes mais aussi de plus en sophistiquées, en particulier avec les drônes qui permettent de tuer à distance causant d’innombrables victimes civiles qu’on range dans la catégorie « des dégâts collatéraux ». Les Etats-Unis peuvent ainsi assassiner des personnes suspectées de djihadisme sans risque de perdre des hommes, mais en même temps ils attirent sur eux, et sur tout le monde occidental la haine des populations pour des générations.

Qui maîtrise encore ce capitalisme débridé ?

Certains pensent que les classes dominantes maîtrisent ce système dont elles profitent de toute évidence. C’est faux ! Ce système, personne ne le maîtrise réellement, même pas les classes qui en profitent, au premier rang desquelles la mince frange de la classe dominante, désormais supranationale, qui, dans tous les pays, domine les autres fractions des classes possédantes actives dans le cadre national.

Ce système a sa propre logique qui s’impose à tous les acteurs mais que personne ne maîtrise. Et ce système ignore purement et simplement les besoins des populations dès lors que ceux-ci ne sont pas solvables. Il y a une dizaine de jours, Jean Ziegler dénonçait ici même le fait que l’on était capable désormais de nourrir l’ensemble de la population mondiale, mais que c’était l’accès à cette nourriture qui était rendu impossible pour une partie de la population car leurs besoins ne sont pas solvables.

Le résultat, c’est 3,5 milliards d’êtres humains qui doivent vivre avec 1 ou 2 dollars par jour tandis que 62 milliardaires possèdent plus que la moitié de l’humanité !!

Nécessité d’un projet supranational de rupture

Il n’y aura aucun recours dans le seul cadre national contre ces multinationales et contre cette finance mondiale parasitaire. Allez contrôler Nestlé, l’UBS ou Novartis dans un cadre strictement helvétique !

Il s’agit de démanteler et de contrôler ces multinationales de plus en plus tentaculaires. Cela ne sera possible qu’en ayant une visée supranationale qui suppose la coopération et la solidarité internationaliste entre les peuples et entre les travailleurs/euses du monde entier pour un changement radical de société, et donc pour une rupture avec ce système qui conduit l’ensemble de l’humanité droit dans le mur !

Le combat pour un changement de société doit avoir lieu à tous les niveaux, local, régional, national, supranational. Mais il est nécessaire qu’il y ait un projet qui unifie et articule ces différents niveaux.

Pour nous, ce combat suppose de s’engager ici dans la lutte contre ces politiques d’austérité dévastatrices et contre ces cadeaux récurrents aux classes privilégiées. Ces politiques de classe sont de plus en plus intolérables.

Cette lutte contre ces politiques d’austérité suppose aussi, pour être cohérente, de remettre en cause ce modèle prédateur et corrupteur et de ne pas accepter d’en être le complice !

Genève, 29.4.2016