Critiquer la société capitaliste, c’est bien, réclamer un autre monde possible, c’est légitime, mais tout cela restera incantatoire si nous ne disons pas ce que cet autre monde sera.
Site créé par Christian TIREFORT et Eric DECARRO pour publier leurs analyses, il accueille également celles de la branche suisse du réseau salariat. Le premier en fut le président jusqu’à son décès survenu le 14 décembre 2022.
Suite à l’enlisement des négociations du cycle de Doha dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), de grandes manœuvres sont en cours sous l’impulsion du grand commerce international pour débloquer la situation en matière de dérégulation des échanges.
Les négociations du cycle de Doha sont bloquées depuis 2001 en raison des désaccords entre d’une part les anciens pays industrialisés (Etats-Unis et Union Européenne principalement) et d’autre part les pays dits émergents du BRICS (Brésil, Russie, Inde qui défend farouchement son agriculture, Chine et Afrique du Sud) ainsi que tous les pays pauvres, en premier lieu les pays africains, qui craignent les effets d’un tel accord.
Les pays pauvres devraient en effet renoncer unilatéralement à subventionner leurs produits agricoles, alors que les Etats-Unis et l’Union Européenne, dont l’agriculture est beaucoup plus compétitive, pourraient continuer de subventionner celle-ci, dominées par les grandes exploitations de l’agro-business. Les petites exploitations agricoles d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine seraient ainsi en grand danger.
C’est dans cette situation que les accords bilatéraux de libre-échange entre pays ou groupes de pays se sont multipliés ces dernières années afin de contourner partiellement l’OMC, vu le blocage des négociations sur un accord multilatéral.
Ce qui se passe aujourd’hui, c’est un changement qualitatif marqué par 3 négociations en cours, dans le plus grand secret, dont les conséquences en cas de finalisation de ces accords seraient extrêmement dangereuses pour les peuples du monde entier.
Il s’agit :
De la négociation engagée entre 27 pays situés dans la zone d’influence des Etats-Unis (dont la Suisse) auxquels s’ajoute l’Union Européenne et ses 27 pays membres, pour libéraliser le commerce des services. Cet accord s’appelle en anglais TISA (Trade in Services Agreement), en français ACS (Accord sur le Commerce des Services).
De la négociation pour un Accord de Partenariat Transatlantique (APT) engagée sous la pression des multinationales nord-américaines et européennes (Chambre américaine de commerce et Business Europe) rassemblées dans le Transatlantic Business Council (TABC) ; ce dernier a été créé en 1995 sous le patronage de la Commission Européenne et du Ministère du commerce américain.
L’accord ci-dessus a un frère jumeau, à savoir le Trans-Pacific Partnership (TPP), lui aussi en cours de négociation à l’initiative des Etats-Unis. Le TPP réunit 12 pays, qui sont, outre les Etats-Unis, le Canada, le Mexique, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon, le Vietnam, Singapour, Brunéï, la Malaisie, le Pérou et le Chili.
Enfin, je dirai un mot très rapide sur l’accord bilatéral que vient de signer la Suisse avec la Chine, accord qui doit être encore ratifié par le parlement [1]
. Cet accord ne pose pas la moindre condition en termes de droits humains et droits sociaux, de normes environnementales, de protection des travailleurs/euses, etc. Il ne manquera pas d’avoir des effets en retour en termes de moins-disant social et salarial sur les activités en Suisse, vu les écarts entre les deux pays en matière de niveaux des salaires, de législation du travail, de normes sociales, de normes environnementales.
Il faut bien voir que les 3 principales négociations dont j’ai parlé, à savoir l’Accord sur le commerce des services, l’Accord de Partenariat Transatlantique et le Trans-Pacific Partnership s’inscrivent dans la stratégie des Etats-Unis et des gouvernements qui gravitent dans son orbite pour contrer les pays émergents des BRICS, les pays que les Etats-Unis considèrent comme « l’axe du mal » (Venezuela, Bolivie, Equateur, sans oublier Cuba) et pour contourner l’opposition des pays les plus pauvres de la planète qui s’est exprimée dans le cadre de l’OMC, avant tout celle des pays africains. Rappelons que pour conclure un accord multilatéral dans le cadre de l’OMC, le vote unanime des 160 pays membres est requis.
Cette stratégie consiste à conclure des accords entre pays ayant un poids suffisamment significatif, voire même prépondérant dans l’économie mondiale, pour forcer la main des pays non-associés et s’en servir comme d’un levier pour contraindre ces derniers à signer – enfin - un accord multilatéral dans le cadre de l’OMC reprenant l’essentiel du contenu des 3 accords qui viennent d’être évoqués.
Suite à cette menace, les pays qui jusqu’à présent ont refusé un accord multilatéral semblent singulièrement assouplir leur position de peur d’un projet encore pire. Mais il s’agit véritablement d’un choix entre la peste et le choléra, tant il est vrai que dans les deux cas, les dégâts seraient énormes. Il est ainsi évident qu’un accord multilatéral serait largement aligné sur le contenu des négociations en cours, qu’il s’agisse de l’Accord sur le Commerce des Services ou des accords Transatlantique et Transpacifique [2].
Examinons de plus près leur contenu :
L’Accord sur le Commerce des Services, tout d’abord. Les 27 pays, plus l’Union Européenne qui négocient cet accord s’autoproclament « les vrais amis des services ». Ce groupe de pays, emmené par les Etats-Unis et l’Australie, comprend les principales économies mondiales, à l’exception des BRICS, comme indiqué précédemment, et de l’ensemble des pays africains.
Il est prévu que cet accord soit finalisé en 2014. Il se négocie sous la pression de la Coalition des Industries de Services des Etats-Unis et du Forum Européen des Services. Les secteurs des banques, assurances, télécommunications, poste, services sanitaires, énergie, eau, transports, etc. sont parties prenantes.
Rappelons qu’un accord multilatéral intitulé Accord général sur le commerce des services (AGCS) a été conclu en 1994 dans le cadre de l’OMC. Pour la première fois, on y parlait de commerce international des services de santé et d’éducation comme s’il s’agissait de marchandises ordinaires qu’il serait possible d’assujettir sans autre à la loi de l’offre et de la demande.
Cet AGCS soumettait déjà les services publics à la logique de concurrence et de rentabilité : il ouvrait ainsi la voie à la privatisation de services essentiels pour les populations. Cependant c’étaient encore les pays eux-mêmes qui décidaient des services qu’ils voulaient ouvrir ou non à la concurrence. Il est vrai qu’il y avait un effet de « cliquet », qui interdisait tout retour en arrière sous peine de lourdes pénalités. Malgré cette clause, de nombreux pays qui ont privatisé certains services ont tenté de revenir à la situation antérieure après avoir constaté, dans ces secteurs ainsi privatisés, une forte hausse des prix pour des services de qualité inférieure.
L’accord actuellement en négociation sur le commerce des services va plus loin encore :
1) Il prône une mise sur le marché de tous les services publics, y compris de ceux qui sont encore considérés comme relevant de la souveraineté des Etats. L’ACS prévoit ainsi que les pays participant aux négociations devront libéraliser les services « dans tous les secteurs et pour tous les modes de prestations ».
Sont concernés tous les services dans lesquels existent déjà des activités privées ou bénévoles (écoles, santé, social, transports publics, énergie, eau, etc.).
Tout désormais serait ainsi privatisable, une aubaine pour les grands groupes actifs dans le domaine de la santé (volume mondial des dépenses évalué à 6460 milliards de dollars) ou de l’éducation (dépenses évaluées à 2500 milliards de dollars).
2) L’accord TISA prévoit que les gouvernements devront s’en tenir à une stricte « neutralité concurrentielle » entre établissements ou entreprises publiques et établissements ou entreprises privées.
En d’autres termes, ils devraient subventionner à hauteur égale établissements publics et privés de sorte que tous les contribuables seraient appelés à financer par leurs impôts les profits des cliniques et écoles privées [3]
La conséquence, c’est que la santé ou l’éducation, à la place de rester accessible à toutes et tous deviendraient une marchandise réservée à celles et ceux qui peuvent se payer ces services essentiels, copiant ainsi le modèle américain où 50 millions de pauvres sont privés de toute couverture médicale.
Il faut à ce sujet dénoncer les politiques d’austérité actuelles qui, en plus de se placer sous le signe de la « guerre aux pauvres », comme on le voit avec les coupes dans l’aide sociale votées par le parlement du canton de Berne ou celles préconisées par la droite en Ville de Genève, conduisent notamment par des suppressions d’emplois massives à une dégradation des prestations de services publics essentiels. Ces politiques ont ainsi pour effet pervers de discréditer les institutions publiques prestataires auprès des secteurs de la population qui en ont le plus besoin !
Les femmes sont particulièrement touchées par cette cure d’austérité infligée aux services publics, que ce soit en termes de suppressions d’emplois souvent majoritairement féminins, ou de rejet dans la sphère privée d’activités jusqu’ici socialisées.
3) L’accord TISA prévoit que les travailleurs/euses temporairement déplacé-e-s pour une période limitée, lesquels sont actuellement soumis aux normes de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), censées limiter les effets du dumping salarial, seraient désormais soumis aux normes fixées par l’OMC. La faible barrière actuelle contre le dumping salarial serait ainsi minée car soumise au principe du libre commerce et de la « concurrence libre et non faussée ».
4) Enfin, selon cet accord, les prestataires de services étrangers devraient avoir accès aux marchés nationaux à des conditions pas moins favorables que les prestataires locaux. En d’autres termes, les gouvernements ne pourraient pas prendre de mesures protectrices pour ces derniers. Cela concerne la réglementation, la vente et la fourniture de services. Tout devrait être soumis à la loi du marché pure et dure !
Voilà qui ne peut que réjouir les grands groupes multinationaux qui vont pouvoir développer leur activité prédatrice sur une échelle plus vaste encore, au grand détriment des petites et moyennes entreprises locales ou nationales.
5) Les « vrais bons amis des services » souhaitent de plus adopter des disciplines régissant la gouvernance des secteurs de service, limitant ainsi l’intervention des gouvernements et des parlements. Aucune entrave aux investissements privés et étrangers basée sur l’intérêt public ou général ne serait ainsi tolérée.
Le contenu de ces négociations va donc bien au-delà de l’AGCS actuel, il s’attaque frontalement à la démocratie et aux biens communs et dépossède les peuples de tout pouvoir de décision sur leurs conditions de vie. Pas étonnant dans ces conditions que ces négociations se déroulent dans le plus grand secret !
Enfin, la libéralisation des services financiers à laquelle la Suisse est particulièrement attachée ne promet rien de bon. Le système financier, avec ses produits dérivés nous a déjà précipités dans une crise majeure dont les effets perdurent actuellement. Une déréglementation supplémentaire ne peut qu’ouvrir sur une crise financière et économique plus dévastatrice encore.
L’accord TISA prévoit enfin que les entreprises pourraient défendre leurs « droits » au profit en poursuivant directement les gouvernements en justice devant des tribunaux occultes, en dehors du champ de compétences des gouvernements.
Le Traité instituant le libre-échange au niveau transatlantique ou Accord de Partenariat Transatlantique est actuellement en négociation entre les gouvernements d’Amérique du Nord, certains gouvernements d’Amérique latine et l’Union Européenne, ceci sous le leadership des Etats-Unis. Les négociations devraient déboucher sur un accord finalisé d’ici 2015. La Suisse, au cœur de l’Europe, sera forcément touchée par le contenu de ces accords, même si c’est indirectement.
Je conseille à ce propos de lire l’article de Lori Wallach, militante américaine du réseau « Our World is not for Sale », paru dans le « Monde Diplomatique » de novembre 2013. Ce qu’il décrit est proprement hallucinant. Je m’inspire largement des informations fournies par Lori Wallach pour cette intervention.
Cette négociation a été lancée sous l’impulsion des multinationales américaines et européennes rassemblées dans le cadre du Transatlantic Business Council (TABC). Selon cet accord, les multinationales pourraient traîner devant des juridictions privées, faites sur mesure pour elles, les gouvernements dont les orientations politiques ou les lois auraient pour effet de réduire leurs profits. Elles pourraient réclamer et obtenir de généreuses compensations pour le manque à gagner induit par un droit du travail trop « contraignant » pour elles ou une législation environnementale ou sanitaire qu’elles estimeraient « spoliatrice » à leur encontre.
Selon l’Accord de partenariat transatlantique (APT), les législations en vigueur des deux côtés de l’Atlantique devraient se plier aux normes du libre-échange établi PAR et POUR les grandes entreprises européennes et américaines sous peine de sanctions commerciales pour les contrevenants. Si cet accord devait entrer en vigueur, les privilèges des multinationales prendraient force de loi et lieraient ainsi les mains des gouvernants. Un tel accord serait imperméable aux alternances politiques et aux mobilisations populaires. Il s’appliquerait de gré ou de force puisque les dispositions de l’accord ne pourraient être amendées qu’avec le consentement unanime des pays signataires.
L’APT dupliquerait en Europe l’esprit et les modalités de l’Accord transpacifique en cours d’adoption dans 12 pays après avoir été ardemment promu par les milieux d’affaires américains. A eux-deux, l’Accord transatlantique et l’Accord transpacifique formeraient un empire économique capable de dicter ses conditions, y compris à des pays non-signataires. Tous les pays cherchant à nouer des relations commerciales avec les Etats-Unis ou l’Union Européenne seraient contraints de s’aligner sur les règles prévalant au sein de cet espace de libre-échange.
La politique du secret se comprend aisément : toutes les collectivités publiques, du sommet des Etats aux collectivités locales, devraient redéfinir de fond en comble leurs politiques publiques de manière à satisfaire les intérêts privés dans les secteurs qui leur échappaient encore en partie. Il est d’ores et déjà stipulé que les pays signataires assureront « la mise en conformité de leurs lois, de leurs règlements et de leurs procédures » avec les dispositions du traité. Dans le cas contraire, ils pourraient faire l’objet de poursuites devant les tribunaux spécialement créés pour « arbitrer » les litiges entre investisseurs et Etats et dotés du pouvoir d’imposer des sanctions commerciales à ces derniers.
L’idée s’inscrit dans la philosophie des traités commerciaux déjà en vigueur dans le cadre de l’OMC qui prévoient la condamnation d’Etats pour des mesures protectrices entravant le libre-échange.
La nouveauté introduite par les APT et TPP, c’est qu’ils permettraient aux multinationales de poursuivre en leur propre nom un pays signataire dont la politique aurait un effet restrictif sur leur chiffre d’affaires et sur leurs profits.
L’autre nouveauté, c’est qu’au lieu de prôner un simple assouplissement des lois existantes, les représentants des multinationales se proposent de les réécrire elles-mêmes !
Les autorités publiques, au niveau national comme local, auraient pour seule possibilité de réécrire leurs lois en fonction des intérêts prépondérants des multinationales ou de négocier avec ces dernières les quelques miettes qu’elles seraient disposées à leur laisser. En effet, il n’y aurait pas de limites aux pénalités que les Etats pourraient se voir infliger.
Signalons par exemple qu’il y a un an, dans le cadre de l’OMC, l’Equateur s’est vu condamné à verser la somme record de 2 milliards de dollars à l’entreprise pétrolière Chevron.
Autre exemple, la compagnie minière canadienne Infinito Gold réclame 1 milliard de dollars au Costa Rica pour le rejet d’un projet de mine, au nom d’un traité bilatéral Canada/Costa Rica. Déboutée 3 fois par la Cour Suprême du Costa Rica, Infinito Gold se « retourne » à présent vers un « tribunal » commercial international à Washington, The Center for the Settlement of Investment Disputes de la Banque Mondiale.
Dernier exemple : selon le professeur Zubizaretta , [4] interviewé par le Courrier, la multinationale espagnole Repsol, éconduite d’Argentine, a porté l’affaire devant un tribunal privé et réclame non seulement le remboursement de ses investissements, mais aussi celui des profits qu’elle avait prévu d’engranger dans le futur !
Par contraste, poursuit le professeur Zubizaretta, les indiens Mapuche, s’ils veulent attaquer Repsol pour le grave préjudice qu’ils ont subi de sa part, ne trouveront aucun Tribunal devant lequel porter l’affaire.
On comprend, dans ces conditions, que certains gouvernements puissent être tentés à l’avenir de négocier directement des accords avec les multinationales de manière à éviter d’être traînés devant les tribunaux et astreints à des frais très onéreux, vu les honoraires exorbitants des avocats d’affaires qui interviennent lors de ces litiges.
Déjà maintenant, les réclamations n’en finissent pas de croître ; selon la Conférence des Nations Unies sur le Commerce (CNUCED), le nombre d’affaires soumises aux tribunaux spéciaux depuis 2000 a été multiplié par 10. En 2012, il y a eu un boom de réclamations de la part des intérêts privés.
Si l’on songe qu’il y a 3.300 entreprises multinationales européennes aux Etats-Unis et 14.400 multinationales américaines en Europe, on mesure quel pourrait être l’impact de cet accord transatlantique et le niveau des contributions auquel pourraient être soumis les citoyens pour payer des indemnités aux multinationales en cas de condamnation de leurs gouvernements.
Le risque, évidemment, c’est que devant cette menace, les gouvernements s’autocensurent préventivement, ce qui ne serait d’ailleurs pas trop difficile pour eux car les gouvernements des pays du Nord sont à la pointe des politiques de dérégulation et que nous sommes désormais clairement confontés à une collusion entre entreprises multinationales et gouvernements. Celle-ci est symbolisée par le passage d’un secteur à l’autre - et réciproquement - des cadres des gouvernements et des multinationales, notamment financières. C’est ce qu’on appelle « le capitalisme de relation ».
1) Concernant les OGM, L’Association de l’industrie bio-technologique dont fait partie Monsanto s’indigne que les produits contenant des OGM et vendus aux Etats-Unis puissent essuyer un refus sur le marché européen.
Monsanto et ses amis ne cachent pas leur espoir que la zone de libre-échange transatlantique permette d’imposer enfin aux européens leur catalogue foisonnant de produits OGM en attente d’approbation et d’utilisation.
2) Sur le front de la vie privée, l’offensive bat son plein ! C’est ainsi que la Coalition du Commerce Numérique qui regroupe les industries du Net et de la haute technologie veut lever les barrières empêchant les données personnelles de s’épancher librement de l’Europe vers les Etats-Unis [5] .
Citons cette déclaration de l’US Council for International Business, un groupement de sociétés qui, à l’instar de Verizon, ont massivement approvisionné la NSA en données personnelles :
« L’accord devrait chercher à circonscrire les exceptions, comme la sécurité et la vie privée, afin qu’elles ne servent pas d’entraves au commerce déguisées ».
3) Les normes de qualité dans l’alimentaire sont aussi prises pour cibles. L’industrie américaine veut ainsi obtenir la suppression de la règle européenne qui interdit les poulets désinfectés au chlore.
Quant aux filières porcines et bovines américaines, elles veulent lever l’interdiction européenne de la ractopamine, un médicament utilisé pour gonfler la teneur en viande maigre des porcs et des bovins ; celui-ci présente un risque pour la santé des bêtes et des consommateurs, raison pour laquelle il a été banni dans 160 pays, dont ceux de l’Union Européenne.
De leur côté, les industriels regroupés au sein de Business Europe dénoncent les barrières qui affectent les exportations européennes vers les Etats-Unis, comme la loi américaine sur la sécurité alimentaire. Celle-ci autorise les services à retirer du marché les produits contaminés.
4) Mais, nous dit Lori Wallach, c’est dans le secteur de la finance que l’offensive est la plus virulente.
5 ans après la crise des subprimes, les négociateurs américains et européens sont convenus que les vélléités de régulation de l’industrie financière avaient fait leur temps. Le cadre qu’ils veulent mettre en place prévoit de lever tous les garde-fous en matière de placements à risque, d’empêcher les gouvernements de contrôler le volume, la nature et l’origine des produits financiers mis sur le marché. C’est notamment le vœu de l’Association des Banques Allemandes qui s’exprime de manière très critique à propos de la timide réforme de Wall Street adoptée au lendemain de la crise.
Quant à Insurance Europe, fer de lance des sociétés d’assurance européennes, elle souhaite que l’Accord supprime les garanties collatérales qui dissuadent le secteur de s’aventurer dans les placements à hauts risques.
Voici un peu résumé, en m’appuyant sur les informations de Lori Wallach, le contenu de ces accords transatlantique et transpacifique en cours de négociations.
Quelles conclusions tirer au sujet de ces accords après ce passage en revue ?
1) Ces accords sont négociés secrètement : seules les entreprises sont consultées par les gouvernements durant ces négociations. Elles-seules ont accès aux documents en discussion. Les parlements ne sont même pas informés ; ces accords ne leur seront soumis qu’une fois finalisés, pour ratification. Les syndicats sont également tenus à l’écart des discussions.
Les peuples sont ainsi dépossédés de toute souveraineté sur les questions qui les concernent, ils perdent toute prise sur des questions essentielles pour leurs conditions de vie.
2) Les traités supplantent en effet le droit des Etats signataires. C’est une attaque frontale contre les droits démocratiques des populations. La conséquence, c’est que les gouvernements renforcent partout leurs moyens de répression pour faire face aux résistances que ne manqueront pas d’exprimer les peuples soumis aux conséquences de ce traitement de choc. C’est ainsi que les gouvernements planchent déjà sur les moyens de faire face militairement aux afflux de réfugiés causés par les changements climatiques.
3) Ces accords consacrent et renforcent le pouvoir du capital au niveau transnational ; ils formalisent la soumission des gouvernements aux intérêts du grand capital, celui des multinationales et du capital financier avec toutes les conséquences dévastatrices qu’entraîneraient ces accords sur la vie des peuples.
4) Selon ces accords, tout doit devenir marchandisable, ce qui signifie que la loi du commerce doit primer sur toute autre considération comme par exemple, les normes en matière de protection de l’environnement, les normes sociales, les normes en matière de salaire ou de protection des travailleurs/euses, les normes en matière d’hygiène ou de sécurité alimentaire, etc.
5) La loi du profit est ainsi érigée en norme absolue et universelle. Tout doit être sacrifié à la rentabilité du capital, en particulier les notions d’intérêt public et d’intérêt général.
Ces accords visent de plus à ouvrir de nouvelles zones de profit pour les entreprises multinationales, notamment dans le secteur des services, quelles qu’en soient les conséquences pour les populations.
Dans le contexte de la crise actuelle, ces accords élargissent la surface des activités sociales soumises à la loi du profit à la grande satisfaction des entreprises multinationales, mais au détriment de nombreuses PME nationales ou locales qui ne pourront résister à une telle concurrence.
6) Ces accords renforceraient non seulement le « libre commerce », ainsi érigé en valeur suprême, mais aussi la libre circulation des capitaux et la dérégulation financière qui risquent de nous précipiter à nouveau dans une crise de plus grande envergure encore.
7) L’augmentation des profits des multinationales, va générer une masse de capitaux à la recherche de rendements. Vu la baisse de la demande globale des populations qui en résultera, cela augmentera encore la masse de capitaux flottants spéculatifs qui cannibalisent les activités sociales.
8) Ces traités constitueraient de très graves attaques contre les services publics répondant aux besoins des populations qui constituent des biens communs.
1) Durcissement de la concurrence au niveau mondial débouchant sur un renforcement de la concentration du capital.
2) Durcissement de l’accès à l’emploi capitaliste ; conditions de travail de plus en plus oppressives. ; renforcement de l’exploitation des travailleurs/euses dans le monde entier.
3) Accroissement de toutes les pressions sur les Etats qui devront eux-aussi durcir leurs politiques d’austérité ; ils seront en effet de plus en plus étranglés par la dette et les déficits.
Les Etats subiront de plein fouet les pratiques « d’optimalisation fiscale » des transnationales et des super-privilégiés ; les pays pauvres en sont particulièrement victimes puisque les multinationales s’arrangent pour faire apparaître leurs profits basés sur le pillage des matières premières ou la surexploitation des travailleurs/euses non pas dans le pays où ils ont été générés, mais bien dans les paradis fiscaux.
On n’est donc pas près de résoudre les problèmes de l’évasion fiscale des entreprises transnationales si ces accords qui consacrent leur pouvoir au niveau mondial venaient à passer ; d’un autre côté, les Etats subiront en termes de réductions de recettes fiscales les conséquences de la montée du chômage et des pressions à la baisse sur les revenus des salariés ; leurs dépenses sociales augmenteront par contre mécaniquement en raison de l’aggravation de la crise.
4) Il s’agit avec ces traités d’une dérégulation sans limites qui ouvrirait non seulement sur une concurrence sauvage et débridée, mais aussi sur des crises encore plus dévastatrices que celle de 2007-2008 dont nous payons toujours les conséquences.
5) Toutes les règles qui brident un tant soit peu la cupidité capitaliste et la voracité des multinationales seraient ainsi abolies, avec leurs conséquences désastreuses pour les conditions de vie des populations.
6) La part du profit dans le revenu national des différents pays grimperait encore au détriment des revenus du travail. Il en résulterait une chute de la demande globale et une exacerbation de la lutte entre les entreprises pour des parts de marché.
7) Renforcement de toutes les inégalités sociales : on apprend aujourd’hui même dans un articulet du gratuit « 20 minutes » que les superriches, c’est-à-dire les milliardaires, nombreux en Suisse, ont vu leur fortune croître de 67 milliards à 627 milliards, soit + 12 % dans la seule année 2012 ! Dans un autre journal, le même jour, on nous informait qu’aux Etats-Unis la paupérisation de la population ne cessait de s’aggraver : dans la ville d’Atlanta, par exemple, la pauvreté a augmenté de 122% entre 2000 et 2010 ; l’âge moyen des sans-abri y serait de 6 ans, car le phénomène touche fortement les femmes seules avec enfants ; et cette paupérisation est un phénomène général : on estime, toujours selon le même article, que 40 % des américains ont connu la pauvreté pendant 1 an au moins.
Avec les accords de libre-échange en cours de négociation, ces processus de polarisation extrême des revenus ne peuvent qu’exploser.
8) Ces nouveaux traités consacreraient au niveau juridique la domination absolue des multinationales et élimineraient toutes les règles limitant le pillage des ressources des pays pauvres et la surexploitation des travailleurs/euses dans le monde entier.
L’oppression des pays pauvres se durcirait encore parallèlement à la corruption de leurs « élites ». L’accaparement des terres par les milieux de la finance ou les pays riches s’accentuerait. La spéculation sur les matières premières, en particulier les biens alimentaires, se renforcerait avec pour conséquence une augmentation de la faim dans le monde. Le désastre écologique s’aggraverait tout comme le dérèglement climatique. Les tensions internationales, entre pays, entre religions, entre ethnies s’intensifieraient encore. Les structures patriarcales qui oppriment les femmes se durciraient aussi.
1) Le développement de la solidarité internationaliste est impérative pour faire échec à ces accords. C’est seulement en renforçant cette solidarité internationaliste que nous pourrons sauvegarder notre pouvoir de décision dans nos pays et régions respectifs, c’est-à-dire les parts de souveraineté sur nos conditions de vie.
L’UDC peut bien vitupérer contre les tribunaux de Strasbourg et leurs jugements en matière de droits humains ou de droits sociaux ; mais elle s’abstient soigneusement de toute critique contre ces accords et contre le renforcement du pouvoir transnational du capital qui écrase toute souveraineté nationale ou locale. Elle peut bien stigmatiser à longueur d’année les migrant-e-s, elle s’abstient soigneusement de désigner les causes de ces migrations qui sont bien plutôt subies que choisies.
Le MCG Golay vient de faire une déclaration renversante au Grand Conseil genevois, affirmant que les multinationales qui s’établissent à Genève sont « le bien », et qu’il regrettait le retour au parlement d’Ensemble à gauche qu’il qualifie de bolchévique et considère comme faisant partie de « l’axe du mal ». Pour ce représentant du MCG, l’humanité peut bien crever ailleurs, victime de la prédation de ces groupes, pourvu que nous, nous retirions quelques miettes du butin ! Une telle logique ne peut conduire qu’au désastre !
2) Dans le cadre de cette solidarité internationaliste, il nous appartient à nous, de mener campagne dans ce pays :
Nous devons exiger du gouvernement suisse, en premier lieu qu’il informe la population de ce qui se trame dans le cadre des négociations de l’Accord sur le commerce des services.
Il faut ensuite exiger du gouvernement qu’il sorte de cet accord sur le commerce des services qui menace nos services publics et nous dépossède de nos droits inaliénables sur les biens communs, et sur des activités essentielles, voire vitales pour nous.
3) On doit se poser la question suivante, car elle sera déterminante du point de vue de notre stratégie : S’agit-il d’une initiative fortuite et aventuriste de la part des multinationales qui poussent leurs pions pour voir, ce qui signifierait que l’on peut sans trop de problèmes bloquer ces tentatives pour ensuite imposer dans le cadre actuel des politiques allant diamétralement à l’encontre du contenu de ces traités de libre-échange, donc introduisant de nouvelles régulations ou durcissant les régulations existantes.
Ou s’agit-il d’une offensive qui obéit à des nécessités dans le cadre de ce système toujours plus aveugle aux besoins des populations et toujours plus agressif, et qui consiste à soumettre toutes les activités sociales à la loi du marché et du profit ? Ne tend-il pas à transformer toute activité sociale, toute entreprise, tout objet, toute personne même (cf. les sportifs de haut niveau) en actif financier comparé de manière permanente à tous les autres du point de vue de sa capacité à procurer un taux de profit supérieur au taux moyen ?
Ma réponse, c’est qu’il s’agit d’un développement nécessaire de ce système que plus rien désormais ne contrôle. Il ne peut qu’aggraver la crise multiforme dans laquelle nos sommes plongés, dans le domaine social, écologique, démocratique, du travail etc.
C’est pourquoi j’estime qu’il faut lier le combat contre ces traités à la dénonciation de ce capitalisme financier qui nous conduit droit dans le mur à tous les niveaux et débattre d’un programme visant à occuper l’espace public dans une visée de rupture avec ce système, et non de gestion de celui-ci. Il est à mon sens parfaitement vain d’espérer qu’on puisse dans le cadre actuel trouver des solutions aux problèmes essentiels, voire vitaux, auxquels sont confrontées les populations.
La position hyper réformiste de la Confédération Européenne des Syndicats (CES) constitue de ce point de vue l’exemple à ne pas suivre : la secrétaire de la CES, Bernadette Ségol, ne vient-elle pas de déclarer que l’Accord Transatlantique « comporte certes des risques, mais aussi des opportunités pour l’emploi et la qualité de l’emploi en Europe ». La CES insiste ainsi pour que « les relations commerciales avec les Etats-Unis soient efficacement réglementées ». « Elle réclame un engagement des deux parties pour aboutir à un accord exemplaire qui garantisse l’amélioration des conditions de vie des deux côtés de l’Atlantique » [6] .
C’est évidemment prendre ses désirs pour des réalités et se méprendre totalement sur le but de ces accords. Les revendications de la CES ne peuvent ainsi qu’être des vœux pieux dans le contexte de cette mondialisation capitaliste et de sa compétition débridée qui consacre la loi du plus fort. Les syndicats, s’ils veulent véritablement défendre les intérêts des travailleurs/euses doivent se positionner clairement contre ces accords et pour une rupture avec ce capitalisme prédateur et dévastateur à tous points de vue !
[1] Le Conseil fédéral propose aux Chambres d’approuver cet accord sans le soumettre au référendum facultatif. Son argument : cet accord correspond dans son contenu aux accords bilatéraux conclus antérieurement avec d’autres pays. Pour le professeur de droit constitutionnel Rainer Schweizer de l’Université de Saint-Gall « un tel choix est contraire à la Constitution ». On voit par cet exemple que le Conseil fédéral non seulement négocie en secret mais tend à restreindre les droits populaires en matière de traités bilatéraux de libre échange. Mardi 10 décembre, le Conseil national a suivi le Conseil fédéral : il a refusé par 109 voix contre 52 et 21 abstentions de soumettre ce traité au référendum facultatif. La majorité des élus de l’UDC se sont abstenus alors que ce parti ferraille contre les accords de libre circulation avec l’Union Européenne et qu’il en appelle systématiquement dans d’autres circonstances à la souveraineté du peuple.
[2] L’accord qui vient d’être signé à Bali est un accord a minima : il ne concerne que 10 % des échanges visés par le cycle de Doha. Son but : restaurer la crédibilité de l’OMC en reportant d’ici au sommet ministériel de 2017 les décisions sur le reste du paquet. Cet accord a d’aileurs été salué comme une victoire par l’OMC et les media.
Dans un communiqué de presse, l’organisation paysanne mondiale Via Campesina a quant à elle dénoncé cet accord comme faisant la part belle aux multinationales et aux pays développés. La facilitation des échanges avantage clairement les grandes entreprises qui contrôlent plus de 80 % des exportations mondiales et s’abstient de toute remise en cause du blocus américain contre Cuba. La « clause de paix » adoptée donne uniquement satisfaction à l’Inde qui pourra continuer de soutenir son agriculture et protéger ses pauvres. Elle met par contre en péril le droit à la souveraineté alimentaire des autres pays pauvres en apportant des restrictions au soutien qu’ils peuvent apporter à leurs petits paysans et à leurs populations les plus démunies. Quant aux subventions à l’exportation des pays riches qui devaient être éliminées d’ici 2013, ces promesses sont restées lettre morte. Le traité de Bali se borne à de nouvelles promesses qui n’engagent à rien. Il en va de même pour les accords en faveur des pays les moins avancés qui ne contiennent rien de bien substantiel.
Le ministre américain du commerce a quitté Bali avant même la signature de l’accord pour se rendre à Singapour où devaient se dérouler du 7 au 10 décembre des négociations sur l’Accord de partenariat transpacifique.
[3] Dans le domaine de la santé, il existe déjà en Suisse une loi qui contraint les cantons à subventionner aussi les cliniques privées, mais tout de même pas à une telle hauteur. A Genève, sauf erreur, cette subvention s’élève à quelques 12 millions ; en contrepartie, les cliniques privées s’étaient engagées à accueillir un quota de patients ne disposant que de l’assurance de base, mais il s’est avéré qu’elles ne respectaient pas leur engagement.
[4] Professeur de droit à l’Université du pays Basque.
[5] Les géants américains du Net (Facebook, Google, IBM) se livrent à un intense lobbying pour vider de toute substance le projet de loi visant à protéger les données personnelles actuellement en discussion à Bruxelles. Pour ces entreprises, il s’agit d’obtenir que les données personnelles puissent se mouvoir librement à travers le marché transatlantique. Pas question de laisser aux usagers la possibilité d’autoriser ou non le transfert de ces données vers des pays tiers, comme les Etats-Unis. Ces géants agissent soit directement, soit par le truchement d’associations récemment créées à Bruxelles comme l’European Privacy Association ou le Center for Democracy and Technology (Le Monde du 6 décembre 2013).
[6] L’Humanité Europe de novembre 2013